Les veines ouvertes de l'Amérique Latine🔗

Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/

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Introduction

Ce livre a été écrit en 1971 par Eduardo Galeano. Il raconte comment, depuis la conquête espagnole, l'Amérique latine est ensevelie sous la misère et comment son peuple est dans une pauvreté entretenue par le marché et le capitalisme. J'ai eu envie de lire ce livre suite à mon écoute d'une émission de radio des RMLL2010 qui parlait de la monnaie.

Eduardo Galeano est un journaliste uruguayen. Il est obligé de fuir son pays, en proie aux menaces du régime militaire et s'exile en Espagne à Barcelone.

Le livre décrit de manière chronologique et sectorisée quelles sont les relations entre les pays d'Amérique Latine et le reste du monde. À la lecture de l'ouvrage, on se rend compte que cette relation a toujours été avilissante et dans un rapport d'esclave à maître.

Aujourd'hui, je constate que par rapport aux écrits de Galeano, la situation a changé. Les régimes sont moins dictatoriaux: Pinochet, par exemple est parti et a été jugé. Le socialisme triomphe (ou a triomphé) et le petit peuple semble avoir la parole si j'en crois ce qui se passe au Brésil avec le président Lula, au Chili avec Ricardo Lagos et Michelle Bachelet, en Bolivie avec Evo Morales, etc…

Mais en lisant le livre, on comprend mieux l'actualité récente: le mouvement des sans-terre en rivalité avec les Latifondis, la nationalisation de la production de pétrole par le président Morales, etc…

Notes

Voici les notes que j'ai relevées lors de la lecture de ce livre. J'ai essayé de les arranger mais l'ensemble est un peu décousu. Toutefois, il suit le contenu du livre.

L'origine du mal: les conquistadors

La conquête espagnole a fait des millions de morts. Dès le départ, la relation entre l'Amérique latine et l'Europe est une relation de conquis et de maître. Malgré un nombre réduit d'hommes, la technique guerrière des conquistadors fait merveille, aidée notamment par les maladies. Les Indiens qui avaient, dans ces lieux de l'Amérique Latine sut construire des civilisations comme les Mayas, les Incas, les Aztèques, n'ont pu, malgré leurs techniques et la force de leur nation, venir à bout des envahisseurs.

Dès le début, les Espagnols sont assoiffés d'or et d'argent et pillent. Ils tuent sans relâche et asservissent les nations indiennes.

À cette époque, les ressources des Européens étaient assez basses, l'or et l'argent du nouveau monde était vraiment le bienvenu. N'oublions pas qu'à cette époque, les royaumes de l'Europe passent leur temps à se livrer des guerres de territoires et de religion.

Esclavagisme

La ville de Potosi est un exemple encore visible de la mise en exploitation des ressources naturelles de l'Amérique Latine par les conquistadors. Potosi est une ville de Bolivie, fondée en 1545. Très vite, on trouve dans les environs de la ville (mont Cerro Rico) une quantité importante d'argent, facile à exploiter qui plus est, dans ses environs. C'est l'explosion démographique et Potosi devient le centre minier de l'argent le plus important du monde. En 1608, c'est un haut lieu de l'Amérique Latine qui concentre les richesses. Mais celle-ci est construite sur le dos des Indiens qui font du travail forcé pour le compte des Espagnols. En un siècle, les quantités d'or et d'argent exportées de Potosi sont 3 fois plus importantes que les réserves européennes.

Mais, au lieu d'enrichir la couronne espagnole, cet argent allait indirectement à d'autres pays car l'Espagne était fortement endettée. Les trésors de l'Amérique étaient finalement digérés en quasi totalité par l'Europe.

Au lieu de faire "fructifier" son capital, l'Espagne fit la guerre et ne développa pas son industrie. De fait, les produits élaborés à forte valeur ajoutée étaient réalisés dans le reste de l'Europe et ces produits étaient achetés par les Espagnols de la métropole et des colonies.

Le système très féodal de l'Espagne explique en partie ce fonctionnement. Ainsi, la noblesse espagnole, très privilégiées, s'accapare toutes les ressources de colonies mais brade cet argent dans le faste et le luxe. Qui plus est, en achetant le must de l'époque qui n'était pas fabriqué par les Espagnols mais par les Anglais, les Français et les Flamands. Au final, l'État espagnol s'endette.

Les puissances européennes imposent le marché à l'Amérique Latine

L'Europe a imposé la forme du marché à l'Amérique latine: elle ne fut que pourvoyeuse de matières premières. Les riches conquistadors ne cherchèrent pas à développer le commerce de la population locale mais à préserver leur situation dominante. Alors que l'argent envoyé à l'Europe était utilisé pour développer le commerce et l'industrie, le fric récupéré localement ne servait que les déjà riches qui s'achetaient des trucs de riches de l'Europe. Bilan: le local stagne à cause de quelques riches.

Les endroits les plus riches dans le passé (genre Potosi) sont aujourd'hui les lieux les plus pauvres: les riches se sont barés avec les bijoux de la couronne. Pourtant, les Indiens ont été quasi déportés à Potosi pour extraire l'argent et l'amalgamer avec du mercure. Ils sont morts en masse (durée de survie dans la mine: 4 ans) pour le compte des blancs, malgré l'existence de lois de la métropole leur donnant un cadre administratif reconnu.

Changements et révoltes

Ce travail forcé a dépeuplé les zones communautaires agricoles qui avaient été fondées depuis des millénaires par les Indiens. Et sur la partie agricole, les civilisations aztèques et maya avaient été de grands peuples: création de canaux, de technique de culture en terrasse, d'irrigation, de création d'îles artificielles, etc. après la conquête, tout cela est renvoyé au désert.

Il y eut toutefois des tentatives de révoltes indiennes mais toutes furent réprimées durement et aucune n'aboutit à l'indépendance. Il ne reste que peu de traces de cette civilisation, même culturelles. Les Indiens ont été ou bien continuent à être chassés de leur terre à cause de l'appât du gain qu'elles représentent. Il se trouve toujours un prospecteur minier ou un entrepreneur avide de ressources prêt à mettre le paquet pour récupérer cette richesse. Ainsi, l'indien se retrouve appauvri à exploiter une terre inconnue et lointaine pour subsister alors qu'il cultivait et vivait librement sur les siennes. On lui arrache son bien dont il n'a pas le sens de la propriété (anarcho communisme) pour le réduire en esclavage.

Des mouvements de révolte des esclaves ont vu le jour, certains avec succès comme en Haïti. Mais Haïti du payer une dette énorme à la France pour ça. Libre mais pauvre, elle l'est restée depuis.

Reproduction des modèles miniers

Comme à Potosi, il y eut l'émergence plus tardive d'une cité de l'or au Brésil: Minas Gerais. Elle a suivi le même schéma de développement: en moins d'un siècle, on a sorti plus d'or que le double des réserves accumulées par les Portugais. Les esclaves noirs y ont été grandement utilisés au détriment des grandes plantations. Mais, à la fin, la ville s'est vidée. Dans les faits, Minas Gerais s'est faite pillée par les Anglais. Ils ont réussi à faire commerce directement là-bas. Ils ne vendaient que des produits manufacturés à grand prix (contre de l'or). De plus, ce développement signa la fin des manufactures locales, encore une fois, le fric était aspiré ailleurs et ne servit à personne sur place.

On fait la même chose avec d'autres ressources

De même avec la ressource des métaux, la canne à sucre (non originaire de l'Amérique) a été également un moyen de laisser les peuples locaux dans la pauvreté. Rapidement, la culture de la canne à sucre fut un enjeu de pouvoir. D'abord, au tout début, le cours du sucre était très haut, car ce dernier était très rare en Europe. Les latifondis, de grandes exploitations gérées par un noble ou un riche propriétaire terrien, se sont efforcées de défendre leur modèle extensif dans la culture de la canne. Avec succès et grâce aux esclaves noirs, une économie monocentrée et non redistributive s'est mise en place, au détriment de l'écologie (monoculture épuisant rapidement les sols), des aspects sociaux (indiens et esclaves noirs), des aspects culturels. Tout cela pour le bénéfice des Européens, Flamands d'abord puis Anglais.

Le latifondi est un système de production agricole extensif. Il était répandu en Espagne, ce qui explique sa présence en Amérique latine. Il se caractérise par la propriété privée d'un grand domaine (plusieurs milliers d'hectares). Le propriétaire emploie de nombreux paysans qui vivent sur son domaine. La productivité est très faible: le propriétaire n'a pas trop besoin de faire fructifier son capital: du moment qu'il a un assez grand espace, il peut facilement répondre à ses besoins les plus capricieux. Dans un système économique où les latifondis sont majoritaires, le peuple a du mal à survivre. Pour briser ce système, il faut une réforme agraire (que nous avons connu en 1789) qui permet de rebattre les cartes de la propriété des terres et de l'emploi des paysans.

La monoculture a un truc pas terrible: on a tendance à ne faire que ça! Or, c'est dangereux, car on met ses oeufs dans le même panier et surtout, la canne à sucre, tous les jours au petit dej, repas, dîner, c'est vite difficile. La monoculture implique d'importer beaucoup d'autres choses, notamment des aliments. Du coup, l'opération est moins rentable qu'il n'y paraît. Le meilleur exemple: on vend du sucre, mais on achète des bonbons. On vend du cacao, mais on achète du chocolat !

A Cuba, les USA tenaient les rennes de l'économie par le sucre. Cuba était une grande réserve de sucre. Mais le système, comme ailleurs ne profitait qu'à une minorité. Après la révolution, la production de sucre ne faiblit pas mais sa répartition fut plus juste.

Grâce à tout ce fric du sucre, les Anglais ont fait leur révolution industrielle.

Pour la culture du caoutchouc, même topo: concentration dans les mains de quelques propriétaires de la propriété des moyens de production (la terre, les outils, le fric pour embaucher à minima), des travailleurs quasi-esclaves, production soumise aux compétitions avec d'autres pays (Malaisie). Le résultat, après avoir engrangé un peu d'argent sur le dos des travailleurs, les oligarques du système se trouvent confrontés avec une compétition et ils préfèrent fermer leurs grandes plantations et passer à autre chose. Les paysans (sans terre) se retrouvent sans rien, sans emploi, à devoir partir ailleurs.

Decription du système

On pourrait faire le même topo avec le cacao et le coton… Ce qui caractérise ces systèmes économiques en équilibre socialement négatif sont les éléments suivants:

Où l'on voit que le système est pourri

Une idée marquante du livre: le capitalisme étranger tend à s'accaparer les terres et les ressources par un système de liquidation dans lequel les propriétaires endettés ne peuvent perpétuellement pas purger leurs hypothèques et sont donc pieds et poings liés aux capitaux étrangers.

Dans la même veine: a un certain moment, les esclaves sont devenus chers à l'achat pour cause de manque de main d'œuvre et de pénurie de la ressource. Du coup, il est devenu plus rentable de payer des salaires de subsistance que d'acheter et d'entretenir des esclaves… Ce système salarial quasi féodal est marqué par la location de la terre du grand propriétaire aux paysans. Cette location est rétribuée par le travail du paysan. Mais ce dernier ne peut cultiver sa propre nourriture sur ces terrains. Il est donc asservi par ce système qu'on peut qualifier de quasi-féodal.

Fait intéressant: en 1968, le prix du café au producteur a baissé de 30% par rapport à 1964. Le prix au consommateur a quant à lui augmenté de 13% !! Merci les intermédiaires: des grosses boîtes qui maîtrisent la chaîne aux deux bouts.

Du poids du politique

Quand les propriétés ou les ressources étaient contrôlées par des intérêts étrangers, ces derniers firent appel au politique de chez eux pour assurer leur contrôle. Intervention de l'armée américaine en Haiti, à Panama, en Colombie, corruption des gouvernements locaux, ingérence dans les pays producteurs, droits de douane, construction des réseaux nationaux en fonction des désirs étrangers, etc.

D'ailleurs, d'une manière générale, si on étudie rapidement les ressources naturelles d'un grand pays comme les USA, on se rend compte qu'ils importent beaucoup de ce qu'ils n'ont pas. C'est pourquoi une grande part des investissements US se fait sur le développement des ressources naturelles. Pour que ces investissements soient assurés, les US négocient ou font preuve d'ingérence et corrompent les états latinos-américains qui disposent, eux, de grandes ressources minières. L'instabilité politique de ces pays dans les années 50-70 s'explique sans doute par cela.

Durant le 19ème siècle, les Anglais importent le libre-échange. Il est souvent imposé à grand renfort d'interventions militaires, de corruption de gouvernement, de financement de coup d'État ou d'embargo. De ce fait, les Anglais exportent les matières premières de l'Amérique latine pour y revendre les produits finis qu'ils ont eux même élaborés. Cette pratique anéantit tout embryon d'industrie ou de manufacture locale. À cette époque, tout vient de Liverpool ou de Manchester. Les tissus et coton de l'Amérique latine (qu'on croit typiques du coin) viennent d'Angleterre. C'est la Chine avant l'heure !

Un seul état inverse la tendance: le Paraguay. Pendant près de 30 ans, sous l'impulsion de Carlos Antonio Lopez, il lance une réforme agraire, trouve des financements internes et impose des droits de douane pour les produits étrangers. En peu de temps, le niveau de vie global des citoyens paraguayens augmente. L'État va même jusqu'à avoir son télégraphe et a propre ligne de chemin de fer. Mais, en 1865, c'est la guerre: les états voisins (Brésil Argentine et Uruguay) attaquent le Paraguay. Elle durera 5 ans et seulement un sixième de la population de 1865 survivra en 1870 !

Autre technique de contrôle: la dette. Les Anglais accordent des emprunts aux états de l'Amérique latine mais avec un tel taux et un tel cheminement complexe et semé d'intermédiaires que les États ne peuvent pas rembourser et doivent hypothéquer le bien commun (la terre, les ressources minières) pour obtenir et rembourser l'emprunt. Certains font banqueroute. Ça me rappelle la banqueroute argentine d'il y a quelques années.

Ce qui est vrai avec les ressources naturelles l'est aussi pour la technologie de pointe

En ce moment (dans les années 70), la mode est à l'implantation et au contrôle des technologies de pointe. Les industries US de pointe tentent de s'imposer sur le territoire latino américain pour profiter de la main d'œuvre et pour mieux contrôler le processus d'industrialisation, toujours dans leur propre intérêt. Après la mode de la nationalisation, souvent ponctuée d'effets positifs, arrive le temps de la dénationalisation, orchestrée par les dictateurs. De fait, le groupe les plus puissants en Amérique latine sont tous nord américains (60 à 80%). Ils sont souvent exonérés d'impôts et disposent de mesures fiscales avantageuses. Tout est fait pour les accueillir à bras ouverts. De fait, l'Amérique latine n'a pas d'industrie propre. Elle fait pour les autres.

Parfois, la fiscalité est carrément plus défavorable aux entreprises nationales qu'aux étrangères. Vu le niveau d'endettement de certains pays, la vente de produits nationaux sur le territoire national ne bénéficie pas forcément au pays et peut même contribuer à enrichir les investisseurs étrangers. Un exemple qui fait sens: une entreprise nationale de rubans adhésifs était en concurrence avec la firme Scotch. La multinationale américaine s'est mise à pratiquer un coût très réduit sur ses produits de manière à faire en sorte que l'entreprise nationale ne puisse plus suivre la compétition au bout de quelque temps. Scotch pouvait se permettre de baisser ses prix (et de perdre du fric) plus longtemps que l'entreprise nationale. À la fin, cette dernière hausse le drapeau blanc, un concurrent américain (union Carbide) rachète la boîte et elle se met d'accord avec la Scotch: au final, le rouleau de ruban adhésif prend 50% par rapport au prix de l'entreprise nationale initial !!!

Un autre vecteur de contrôle: les banques

Le système bancaire est également un vecteur de contrôle: les succursales nord-américaines sont très nombreuses en Amérique latine. De fait, ils contrôlent l'épargne locale et oriente les investissements en fonction de leur intérêt, au détriment de l'industrie locale. À l'inverse, la loi US interdit expressément à une banque étrangère de recueillir l'épargne des citoyens nord-américains.

Autre exemple notable: les appels aux investissements étrangers sont près de 4 fois inférieurs à l'évasion des capitaux: par les bénéfices, dividendes, brevets, royalties, etc. pendant la période 1950-1965. Tout cela finit par poser des problèmes au niveau de la masse monétaire et vient également amputer l'aide mondiale: sur 100 devises d'aides, environ 38 arrivent dans les poches de l'Amérique Latine, le reste retourne chez les ricains. De plus, la dette crée un cercle vicieux: pour tenter de l'éponger, on demande plus de capitaux de l'étranger qui finissent de vider le peu qui subsiste !

D'une manière générale, le développement, qu'il soit économique, social, technique ou culturel ne touche qu'une minorité en Amérique latine. Cette minorité garde le pouvoir oligarchique dans l'intérêt des nations extérieures… ex: 45 millions de brésiliens gagnent autant que l'oligarchie de 900000 autres.

Conclusion

Le livre de Galeano a été interdit en Urugay, au Chili et brocardé en Argentine. A l'époque de sa publication, les régimes dictatoriaux et autoritaires étaient la quais-règle dans ces pays. Son discours dérangeait fortement, car il expliquait en quoi la corruption des États mettait en péril la survie même du peuple. Il a dû fuir quelques années après…

Grâce à Galeano, j'ai enfin eu la réponse à la question: pourquoi ? Pourquoi il se passe ça aujourd'hui en Amérique Latine. Qu'est-ce-que ça veut dire ?

Pourquoi quand Evo Morales nationalise la production de pétrole, l'acte se trouve être très symbolique d'une reprise en main des ressources du pays par rapport aux puissances étrangères.

Pourquoi le mouvement des sans-terres existe-t-il au Brésil et en quoi il est lui aussi symbolique d'une réforme agraire plus juste.

Aujourd'hui, je peux dire qu'il semble que la situation a vraiment bien changé et que c'est tant mieux. Nous voyons l'Amérique Latine avec un autre regard. Cet ensemble de pays ne nous inspire plus la pitié ni la crainte mais suscite de plus en plus l'admiration et l'attrait.

Lorsque l'on voit ce qui nous peine dans nos sociétés occidentales, peut-être que notre avenir et la solution à nos problèmes passeront par la mise en place des méthodes de développement qui ont su porter leur fruit aux peuples de l'Amérique Latine et qui ont pu en refermer (partiellement) les veines…