Le macroscope par Joël de Rosnay🔗
Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/
Introduction
Je viens de terminer "le Macroscope" de Joël de Rosnay. Il s'agit d'un livre rédigé en 1974 qui contient une méthode pour appréhender les systèmes complexes. À l'instar du microscope qui permet d'observer et de comprendre l'infiniment petit, à l'instar du télescope qui permet d'observer l'infiniment grand, le macroscope tend à être l'outil de l'observation de l'infiniment complexe.
Le livre est réparti en trois grands morceaux. Le premier tente de nous montrer quels sont les grands systèmes de ce monde (économiques, écologiques et biologiques) et comment ils fonctionnent. La deuxième partie théorise le macroscope en tentant de définir ce qu'est l'approche globale. Enfin, Jöel de Rosnay utilise cette méthode pour analyser les systèmes évoqués précédemment et pour évoquer leur possible évolution. L'ensemble est illustré de nombreux schémas qui aident les plus visuels d'entre les lecteurs à mieux comprendre.
On peut penser que le livre a été très inspiré par le premier choc pétrolier qui a dû pas mal secouer les économies et les modèles de l'époque. Dans son étude économique, De Rosnay a une approche capitaliste. Mais c'est peut-être le fait qu'il ne connaisse bien que ce modèle ou que celui-ci soit le modèle le plus populaire pour faciliter les explications et démonstrations qu'il a été retenu.
Ce qui m'a frappé à la lecture de l'ouvrage, c'est avec quelle précision l'auteur, grâce à sa méthode, arrive à prédire l'évolution de la société post-industrielle. Pouvoir prédire l'avenir sans se tromper depuis l'année 1974 relève d'une clairvoyance quasi-divine. Dans tous les cas, cela donne un certain indice sur la qualité du Macroscope.
Les grands systèmes
Dans la première partie de l'œuvre, 3 grands systèmes sont présentés de manière à mettre en jeu leurs éléments communs: l'écologie, l'économie et la biologie. Je ne vais pas résumer le fonctionnement de chacun des systèmes mais bien présenter leurs éléments communs…
D'abord, ils comportent tous une source d'énergie externe commune: le soleil. Au niveau de la planète (écologie), c'est la source d'énergie de base qui permet à la vie de fonctionner et aux cycles du vivant de se dérouler. Au niveau de l'économie, l'ensemble du cycle est conditionné par la présence d'une source d'énergie. Qu'elle vienne directement du soleil (photosynthèse par les plantes) ou indirectement (pétrole issu de la matière organique décomposée), l'énergie est indispensable non seulement à la vie biologique mais, à l'équilibre de la planète et à la possibilité de l'économie. Une fois l'énergie utilisée, il reste de l'entropie (chaleur perdue).
Autre point commun essentiel, chaque système possède des cycles. Ce n'est pas un déroulement linéaire mais bien un cycle. Ces cycles conduisent à l'élaboration de réservoirs: réservoirs de carbone (pétrole) ou réservoir de monnaie ou de connaissances.
Enfin, chaque système est en équilibre dynamique: il évolue dans un flux (d'énergie ou de monnaie) mais parvient à se maintenir tant bien que mal, malgré l'évolution de son environnement et de ses éléments internes. Ces équilibres sont permis par des mécanismes internes.
Après cette partie de présentation, vient la théorie qui tente de définir ce qu'est un système. Ma rédaction sera très légère, car je veux juste repérer les idées essentielles. S'il vous faut plus, n'hésitez par à lire le livre (en l'empruntant dans votre bibliothèque municipale par exemple).
Le système analysé
Un système est un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d'un but. Ce qui caractérise les systèmes précédemment évoqués est qu'ils sont tous ouverts et complexes. Ouverts car en permanence en interaction avec leur environnement avec lequel ils échangent de la matière, de l'énergie, de l'entropie. Ces échanges forment des flux.
Complexes car:
- grande variété d'éléments.
- organisation de ces éléments en niveaux hiérarchiques.
- liaisons entre les éléments.
- Interactions non linéaires (exponentielle, asymptote, courbe en S, etc.).
Le système c'est une structure et des fonctions.
La structure comporte:
- une limite qui définit les frontières du système (frontière d'un État, membrane d'une cellule, planète).
- des composants (éléments) organisés en catégories/familles.
- des réservoirs dans lesquels peuvent être stockés ces composants.
- un réseau de communication (télécoms, routes, vaisseaux sanguins, circuit lymphatique, etc.).
Les fonctions comportent:
- des flux d'énergie, d'informations, de composants, etc.
- des vannes qui contrôlent ces flux (enzyme, institution, chef d'entreprise).
- des délais qui découlent des flux, des réservoirs et des vannes.
- des boucles de rétroaction qui peuvent être positives (emballement du système, le + produit le + ou le - produit le -) ou négatives (convergence vers un but, le + produit le - et le - produit le +).
Les vannes du système sont activées suivant des variables d'état (état des réservoirs) ou des variables de flux (débit).
Une fois tous ces éléments mis en place, le système est décrit dans son ensemble. Ce qui marque ce sont les liens entre les éléments du système et son dynamisme (visible dans les flux) ainsi que les règles de son évolution, conditionnées par les flux, les vannes et les boucles de rétroaction.
Pour observer le système Joël de Rosnay propose la simulation: on élabore le modèle théorique et on fait varier les variables d'état ou de flux. On fait jouer le système et on observe les résultats. L'ordinateur permet de faire ces travaux de manière plus simple et de dépasser les limites de nos cerveaux, enfermés dans l'approche analytique qui tente de toute diviser pour mieux comprendre.
D'une manière générale, les systèmes complexes sont homéostasiques: ils résistent fortement au changement grâce à leur équilibre dynamique. Mais ces systèmes peuvent également s'adapter. Lorsque la pression est forte, l'équilibre est rompu mais le dynamisme permet de "retomber sur ses pattes", retomber sur autre chose.
Les 10 commandements de l'approche systémique
- Conserver la variété: la stabilité implique la variété des éléments internes.
- Ne pas ouvrir les boucles de régulation: synonyme de couper les cycles naturels.
- Rechercher les points d'amplification: le système étant en équilibre dynamique, si on désire le changer, il faut jouer sur plusieurs facteurs en même temps.
- Rétablir les équilibres par la décentralisation: ex: dans le corps humain, le cerveau ne décide pas de tout (vous pensez chaque fois que vous cicatrisez ?).
- Savoir maintenir des contraintes: le système ouvert peut fonctionner selon plusieurs modes. Si on veut faire changer le mode de fonctionnement, il faut faire pression par des contraintes.
- Différencier pour mieux intégrer: n'oublions pas que l'entropie (la mort tiède) c'est l'unicité !
- Pour évoluer: se laisser agresser. Un système stable ne change pas à la moindre contrariété. Pour le changement, il convient d'inscrire un grand bouleversement.
- Préférer les objectifs à la programmation détaillée: un systéme ouvert fait preuve d'autonomie, il est inutile de traiter toute la chaîne de commande en détails. L'objectif suffit.
- Savoir utiliser l'énergie de commande: pour agir sur le système, on peut agir sur le flux mais c'est énergivore. En revanche, une vanne (comme un transistor) se commande avec peu d'énergie…
- Respecter les temps de réponse: suivant les flux et les délais du système, on aura ou non un cycle complet. Il faut savoir le repérer.
Analyser le monde avec le macroscope
Une fois équipé du Macroscope, Joël de Rosnay décrit le monde tel qu'il est et tel qu'il pourrait être à la lumière de l'outil. Et c'est dans cette partie que l'on peut mesurer la clairvoyance de la méthode: à peu de choses près, ces éléments, analysés et décrits il y a près de 35 années commencent à voir le jour ou sont complètement implémentés.
- Internet: De Rosnay pense, à la lumière du macroscope sur le système économique et social qu'un grand réseau de télécommunication participatif et ouvert à tous va poindre dans les années à venir. C'est complètement vrai. Si je prends ce qui est décrit, on peut facilement voir que des choses comme la rétroaction sociale par les blogs sont déjà présentes dans la réflexion de De Rosnay ! Ça m'épate qu'un type puisse écrire ça 5 ans à peine après le début du projet Arpanet !!! (le Web n'existera que dans 15 ans !) Il en vient également à mesurer l'impact de cette révolution technique sur le peuple et conclut que ce dernier y gagnera en liberté.
- En ce qui concerne l'écologie et l'énergie. De Rosnay approche la thèse du réchauffement climatique en la mettant en ambiguïté: il n'a, à l'époque, pas assez d'éléments pour dire si la planète se réchauffe où si elle se refroidit. En revanche, il a parfaitement vu que l'homme à une action de plus en plus forte sur l'environnement et sur les vannes du climat. Il fait aussi le constat, en utilisant une méthode de calcul du type bilan carbone (bilan énergétique total) avant l'heure que le rendement énergétique agricole devient de moins en moins bon (1 calorie dépensée pour 5 à 50 produites dans les pays sous-développés de l'époque contre 5 à 10 calories dépensées pour 1 seule produite aux USA !). Tout cela le conduit à envisager l'émergence d'une bio-industrie dont l'objectif est de transformer nos déchets en matières réutilisables, pour les réinjecter dans le cycle. Il mentionne même le tri sélectif par les citoyens. Du développement durable largement avant l'heure ! Enfin, il évoque la possibilité technique de faire travailler les microbes et de synthétiser des enzymes pour divers travaux effectués auparavant par des hommes ou des machines.
- Enfin, son analyse sur l'évolution des valeurs et de l'éducation est vraiment positive. D'abord, il commence par redonner de la place à la jeune génération. Ensuite, il remet en cause les institutions et appelle à plus de partage du pouvoir et à se construire une existence plutôt qu'à suivre un modèle pré-établi. J'ai particulièrement apprécié ses idées sur le travail que je partage totalement, notamment le concept du travail alibi. En résumé, avec le temps, le travail a perdu son sens premier: celui de nous libérer des contraintes de la Nature. En effet, pourquoi tant produire alors que l'on ne dispose plus du temps nécessaire pour le consommer ? Pourquoi tant travailler pour acquérir des biens matériels si l'on n'a plus le temps de s'accomplir soi-même en relation avec les autres ?. Le travail alibi trouve son fondement dans les valeurs de la société occidentale capitaliste. Alors que les signes extérieurs de richesse sont plutôt perçus négativement (ça dépend par qui), le signe extérieur de travail est sur-valorisé. Ca fait toujours bien de montrer qu'on passe beaucoup de temps à travailler mais quid de l'efficacité ? Finalement, cette posture d'"apparence" vient attaquer le plus profond de notre être aux dépens de notre vie de tous les jours.
Conclusion
Si vous ne l'avez pas encore compris, sachez que je suis quasi estomaqué de la précision de De Rosnay dans son évaluation d'un futur qui est quasiment notre présent (il y a quelques points qui manquent toutefois). En lisant l'ouvrage, sans savoir qu'il date de 1974, on aurait l'impression qu'il est écrit dans les années 2000. Ce constat me conduit à penser que le Macroscope est un outil certes difficile à manier mais qui peut se révéler très puissant pour analyser le comportement d'un système et pouvoir en préfigurer l'évolution.
Il serait ainsi très intéressant de passer le système du logiciel libre à la loupe du macroscope pour pouvoir en comprendre plus facilement son organisation, sa mouvance et dessiner sa future évolution et son impact dans le système économico-social de demain… Mais c'est là un travail de longue haleine qui demande, dans un premier temps, de bien se documenter sur le logiciel libre ! Peut-être un projet à placer sur ma TODO list ?