Pourquoi nous avons tous besoin de Richard Stallman ?🔗

Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Blog/

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Introduction

Je viens de terminer le livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, une biographie autorisée et je vous le recommande. Au-delà du fait qu'il s'agisse d'un livre libre publié sous licence GNU Fdl, il permet de répondre à la question principale: "Qui est RMS ?"

Depuis de nombreuses années, je connais de nom, ce membre actif de la communauté du logiciel libre et j'ai pu lire de nombreuses réactions positives sur son combat politique, ses actions dans le logiciel libre et dans la défense des libertés des utilisateurs. Pourtant, j'ai pu également lire de nombreuses critiques quant à son opinion sur l'open source ou sur le fait qu'il faille dire GNU/Linux et non Linux. Pour certains, Stallman est un intégriste qui ne donne pas une bonne image au logiciel libre avec des positions trop tranchées…

Qui croire ?

Quel est le meilleur moyen de connaître une personne que vous avez du mal à rencontrer dans la vie réelle, si ce n'est une biographie ? A la lecture de cette œuvre, j'ai pris conscience de nombre d'éléments et d'arguments fondamentaux pour le logiciel libre, le tout, sous la bannière de l'enseignement apporté par Stallman. J'aimerais vous en faire part.

Le logiciel libre est un courant de pensée

Par courant de pensée, j'entends un système de réflexion qui développe des arguments construits et qui prône une action allant dans ce sens. Par exemple, les Lumières sont un courant de pensée, de même que l'Anarchie ou le Libéralisme. De mon point de vue (qui n'est pas parfait), le mouvement du logiciel libre lancé, au moins en grande partie, par Richard Stallman relève bien d'un courant de pensée.

D'abord, c'est un mouvement qui s'inscrit dans l'histoire. Cette histoire a près de 16 années d'existence si on prend comme point de départ, l'histoire de l'imprimante Xerox. Ce n'est donc pas un mouvement éphémère, quelque-chose qui va s'éteindre rapidement. Cette inscription dans le temps permet de laisser une empreinte dans notre mémoire collective.

Élément fondamental, le logiciel libre a un discours: celui des droits de l'utilisateur par rapport au code et aux auteurs. La pensée du logiciel libre a été initiée par Stallman (disons qu'il y a grandement contribué) pour tout un tas de bonnes raisons, la première étant sa participation au mouvement des hackers du MIT. Cette pensée véhicule un tas de valeurs (directes ou indirectes) telles que le partage, la non dissimulation arbitraire de l'information, l'ouverture, la participation, le bien commun, etc.

Tout discours a une trace écrite: pour le LL, ce sera la licence GPL dans toutes ses versions. C'est un texte fondateur, essentiel et qui au-delà de ses variantes, fédère assez bien le concept de LL. C'est le texte de référence du LL.

En plus du discours, le LL a une action. Elle se matérialise par de nombreux projets dont un des premiers est le projet GNU, un système d'exploitation totalement libre. Emacs était le projet quasi-personnel de Stallman pendant une époque. Le noyau Linux et toutes les distributions qui l'utilisent et qui sont libres (au hasard dans la liste: Debian) en font également partie. Le LL, ça n'est pas que des mots ou des idées, c'est également une réalisation concrète, utilisable au quotidien par le plus grand nombre.

Ensuite, on peut remarquer que plusieurs courants au sein de ce mouvement coexistent. En effet, certains prônent la liberté comme condition fondamentale (plutôt la branche de la FSF et de RMS). D'autres préconisent l'aspect technique des choses comme Linus Torvalds pour qui, le logiciel libre est avant tout un moyen d'aboutir à un système proche de la perfection technique. Certains tentent de viser un large public, d'élargir la communauté (Ubuntu), d'autres se concentrent sur une communauté réduite mais qui désire conserver un haut niveau de technique et de pratiques complexes mais efficaces. Mais tous ces mouvements ont un seul point commun: le logiciel libre.

Enfin, le discours et les méthodes du logiciel libre font éclore d'autres mouvements qui lui sont proches. J'imagine assez mal le développement de Wikipédia s'il n'y avait eu le logiciel libre. D'abord, l'architecture de Wikipedia est basée sur des logiciels libres. La technique aidant, il a été possible de déployer ce nouveau service du web. Ensuite, je pense que l'aspect collaboratif de Wikipédia et l'aspect liberté de redistribution et de modification du contenu du projet n'aurait pas suscité autant l'adhésion si le terrain n'avait pas été préparé de longue date par le mouvement du logiciel libre. Une partie non négligeable de la société connaissait déjà des "lieux" où ces pratiques d'échange avaient régulièrement cours. Le fait que les licences libres pour les usages autres que le code source de logiciels ont repris le modèle de la GPL, dédiée aux logiciels, n'est pas un hasard…

Tout ça pour dire que le logiciel libre n'est pas le fruit de l'imagination utopiste de quelques hurluberlus dans un coin (ou dans un garage): c'est un vrai mouvement de pensée qui a une action réelle et perceptible sur notre société.

L'aspect historique est important

Le logiciel libre a une histoire. Cette histoire est à rapprocher de celle de Richard Stallman. Le livre présente assez bien la vie particulière du hackeur et tout son parcours.

Tout commence par une imprimante qui plante et dont le code source du pilote se ferme. Stallman avait modifié le programme de gestion d'une imprimante Xerox qui fonctionnait sous PDP-10. Quelques-temps plus tard, Xerox livre une nouvelle machine, plus puissante et plus performante. Néanmoins et contrairement à d'habitude, la livraison du pilote d'impression est uniquement sous forme binaire. Dans un premier temps, Stallman tente de récupérer ce code pour le modifier et améliorer la gestion de l'imprimante. Il rencontre un de ses collègues (universitaire) qui dispose du code mais ce dernier se refuse de le communiquer à Stallman, car il s'est engagé à ne pas le diffuser.

Cette réponse a eu un effet boule de neige sur Stallman qui avait, à l'époque, une vision assez fine de l'avenir qui attendait l'informatique et la liberté des utilisateurs dans un monde toujours plus lié à l'utilisation des ordinateurs. Il faut bien retenir qu'à l'époque, les utilisateurs d'informatique ne sont pas nombreux. Les applications sont limitées à certains secteurs et du coup, le type des utilisateurs est assez particulier. De fait, ce petit groupe a déjà ses règles non écrites et ses propres pratiques: depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le code source des programmes a toujours été partagé dans le but de l'améliorer le plus possible. Mais, dans le début des années 80, l'utilisation de l'informatique s'étend et les firmes misent sur la fermeture du code pour s'assurer de nouvelles sources de revenus, à l'encontre totale des usages de l'époque et encore plus, du groupe des hackeurs et du Ai Lab du MIT.

Car, il faut bien noter que le AI Lab et ses hackeurs est un groupe avec des valeurs, des techniques, une ambiance et une vision des choses bien particulières. Ils revendiquaient une tradition d'ouverture et de confiance intellectuelle et aussi l'intérêt de la coopération et de l'échange des savoirs. Ainsi, les hackeurs avaient-ils l'habitude de réquisitionner tous les terminaux utilisables et de forcer les portes des bureaux fermés à clef qui hébergeaient ces terminaux. Ils développèrent un système d'exploitation sur PDP-6 et PDP-10 qu'eux seuls savaient utiliser. Ils mêlaient souvent le travail personnel avec les tâches du AI Lab. Enfin, ils étaient clairement opposés à toute mise en place sécuritaire sur les ordinateurs, par respect pour le partage du code et du savoir qui en découle et pour mettre en avant le côté auto-gestion de leur groupe. Ajoutons qu'en plus de l'art du code, ils développèrent quelques méthodes pour ouvrir les portes fermées derrière lesquelles se trouvaient des terminaux. C'est tout cet ensemble d'éthique et ce groupe qui est à la base du logiciel libre et, à la vue de son parcours, Richard Stallman en est le catalyseur. La soif de connaissances, le mépris de l'autorité et des préjugés, le rejet des règles discriminantes mais également le sens de la responsabilité envers la communauté, la confiance et l'action sont les valeurs de l'éthique hacker.

L'élaboration du projet GNU est une première ambition… et pas des moindres.

Richard Stallman est l'homme d'un projet

C'est ce qui m'a frappé à la lecture de l'ouvrage. Tout semble parti d'une imprimante mais c'est un véritable mouvement qui s'est mis en place après cet épisode. Ce mouvement semble être un vrai projet de vie pour Stallman. Il a pris part au lancement de son idée et a réussi à la faire mondialement partager même si certains prônent quelques variantes. Tout aurait pu être différent: il aurait pu faire comme la plupart: accepter de fermer le code… Mais, heureusement pour nous, il ne l'a jamais fait.

À la lecture du livre, on comprend que le projet de Richard Stallman est de faire triompher la liberté. L'informatique étant un élément qu'il maîtrise, c'est sur elle qu'il s'appuie pour matérialiser cette cause. Mais ce n'est pas la technique qui est motrice, c'est bien la liberté, la non soumission au logiciel. Tout son être est lié à ce projet qui est devenu sa vie. De nombreux indices en témoignent.

D'abord, son travail au AI Lab du MIT et ses capacités de programmation, reconnue par ses pairs de l'époque (et encore maintenant) font de lui un homme du code. Stallman est quelqu'un qui sait coder, qui y trouve un intérêt profond et stimulant. Le code relève à la fois de l'art et de la technique. Cela montre à quel point l'informatique est son sujet de prédilection.

Un autre exemple de cet attachement à tout ce qui traite du numérique est cet épisode que le livre raconte à propos du PDP10. Pendant de nombreuses années, l'équipe du AI Lab du MIT a utilisé un PDP10. L'ambiance de l'époque a permis d'expérimenter une manière originale d'utiliser une machine. Sur cette machine, Stallman a passé des heures à coder avec ses collègues, des nuits… Il développera un lien quasi-sentimental avec cette machine qu'il aura côtoyée de nombreuses heures et avec laquelle, il aura partagé beaucoup avec ses amis et collègues du AI Lab. Mais un beau jour, cette machine dut s'arrêter (après moult rebondissements) et elle fût entreposée dans un coin. Et Stallman était triste de constater son état… Relation homme-machine particulière entre un homme qui a su utiliser sa machine comme le prolongement de son cerveau.

D'un point de vue informatique, toujours, on voit que, très tôt, Stallman a su gérer des projets ambitieux et en décalage avec les courants de l'époque. Si on prend la référence par rapport à Emacs, on voit qu'il a su mettre en œuvre un groupe de travail autour du logiciel. En effet, Stallman est parti de l'éditeur Teco qu'il a modifié pour le rendre plein écran et surtout, il a intégré la notion de Macros. Emacs est devenu un projet collaboratif à partir du moment où plusieurs personnes ont développé des macros dans leur coin. Le travail de mise en commun des fonctions les plus utilisées a permis à Emacs de perdurer et de devenir une référence (je dis ça mais j'utilise vim). Par cet épisode, on comprend la mesure de l'émulation collaborative qui est fortement présente dans son projet de défense de la liberté. RMS n'est jamais seul: il s'appuie sur une communauté qu'il tente de rassembler. C'est particulièrement visible avec son travail au quotidien qui consiste à faire des conférences afin de colporter les idées du mouvement mais également de faire adhérer le public à ces valeurs.

Pour Stallman, la liberté est une valeur fondamentale. Et ça se voit très tôt dans son action, notamment avec l'exemple de la machine Lisp. Lorsque ses convictions sont mises à mal, RMS est capable de se surpasser. A l'époque (début des années 80), un groupe de hackers a fondé une société nommée Symbolics et qui s'est mis à développer autour de Lisp. Le projet Lisp étant d'origine MIT, Symbolics a signé un accord avec ce dernier stipulant que tout le code serait reversé au MIT qui assurerait la diffusion du programme. Mais au bout d'un certain temps, Symbolics stoppa cet accord en vue de créer une sorte de monopole autour de Lisp et en essayant clairement de lutter contre toute concurrence d'autres boîtes. Stallman réagit vivement et, à lui seul, assura la transposition dans le Lisp du MIT de toutes les nouvelles fonctionnalités développées par Symbolics, sans copier une seule ligne de code (ce qui a été prouvé suite à une enquête répondant à la demande de Symbolics). Un effort gigantesque, car il faut bien comprendre que Stallman faisait à lui seul le travail de toute l'équipe de Symbolics ! Mais, quand on est touché au vif, la motivation paraît sans limite…

Par ailleurs, ce projet est bien identifié par Stallman qui s'efforce de le conserver libre d'autres mouvements. Ainsi, la FSF n'est affiliée à aucun parti politique. C'est également visible lorsqu'on observe le mouvement du logiciel libre dans son ensemble: il est focalisé sur le logiciel et pas sur autre chose. Ainsi, Stallman aurait très bien pu lancer un mouvement tel que celui des Creative Commons mais c'est finalement Lawrence Lessig qui l'a fait.

Ces éléments l'ont amené à fonder le projet GNU, matérialisation numérique des valeurs qu'il défend. Si on relit l'appel de RMS pour le Thanksgiving de 1983 (cf http://www.gnu.org/gnu/initial-announcement.html ), on pourrait le considérer comme inconscient du défi à relever ou bien pour un fou ou un plaisantin. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Au contraire, Stallman a su rassembler et apporter une motivation sans faille sur un projet que beaucoup pourraient qualifier d'utopique aujourd'hui. C'est tout à son honneur d'avoir su rester fidèle à ses convictions et à ne jamais céder devant l'adversité et les problèmes ! Après tout, il aurait très bien pu tout laisser tomber et partir dans une vie plus simple de consultant pour une très grosse boîte d'informatique ou bien poursuivre des travaux de recherche en informatique. Je crois que sans cet apport de RMS, le concept même de logiciel libre n'aurait pas émergé et le monde aurait sans doute un autre visage. Imaginez quelques instants: pas de Linux, pas d'Internet ouvert et neutre, des développements fermés et couteux pour le compte de quelques entreprises en position de quasi-monopole, des utilisateurs enfermés dans ce que ces entreprises ont choisi pour eux, pas de Wikipédia ni de Creative Commons. Pas de Firefox ni d'OpenOffice… et plus grave, aucune application pratique de la Liberté dans le quotidien numérique des citoyens !

Au-delà de ces aspects un peu techniques, Richard Stallman a souvent utilisé la méthode que j'appelle "accompagner le mouvement de l'ennemi pour retourner son arme la plus efficace contre lui-même". C'est par exemple, la stratégie de la licence GPL qui utilise le droit d'auteur/copyright mis en avant par l'informatique privatrice pour assurer la libération et la pérennité du logiciel libre. Ainsi, pendant la période où il travaillait au AI Lab, il contra les tentations sécuritaires sur le système ITS en implémentant une fonction qui inscrivait le nom du dernier utilisateur à avoir modifié un fichier. L'espace pris par ce nom dans le système de gestion de fichiers ne permettait alors plus d'ajouter d'autres informations sur la sécurité, bloquant ainsi toute tentative sécuritaire en utilisant une fonction de sécurisation: c'est l'arme de l'ennemi qui s'auto-détruit…

Richard Stallman incarne les valeurs profondes du mouvement. C'est celui qui sait conserver le cap dans une activité tumultueuse qui concerne un nombre toujours plus grand de personnes de par le monde qui auront forcément des points de vue différents à partager. Et il n'a jamais abandonné sa posture et les valeurs du logiciel libre. C'est un personnage tenace sur ce sujet qui fait partie intégrante de sa vie. Il n'a jamais renié ses convictions et a su rester ferme au point d'en paraître borné face à ses détracteurs. Mais c'est là tout le mérite d'un homme qui ne se décourage jamais pour la cause qu'il croit juste.

Le logiciel libre est menacé

C'est un constat que beaucoup partagent, nous vivons dans un monde de requins plutôt que dans un monde de Bisounours ! De fait, alors que les premières années qui ont vu sa mise en place pouvaient être considérées comme relativement calmes, notre époque est plus dangereuse pour le logiciel libre.

D'abord, à l'époque des débuts de la GPL, les utilisateurs de logiciels étaient beaucoup moins nombreux que maintenant. L'ambiance et les valeurs par défaut des utilisateurs d'informatique étaient sans doute très différentes de maintenant. Comme le groupe ciblé était moins un phénomène de masse, les enjeux étaient ceux d'une niche et non d'une généralité. Le marché qui en découle était forcément plus restreint. Alors que de nos jours, une grande majorité d'utilisateurs utilisent des logiciels libres très divers, allant du serveur web Apache au navigateur Web Firefox; il n'en était rien dans les années 80-90 où l'informatique privatrice a émergé dans les familles. Le logiciel libre vient bien concurrencer l'informatique privatrice et entamer ses "parts de marché".

De plus, il ne faut pas oublier que le logiciel libre est un modèle où la source de revenus est moins immédiate: on ne vend pas du code ou un service directement. Ainsi, il est possible de faire de l'argent avec le logiciel libre mais ce n'est pas son but direct et avoué (la GPL évoque assez peu cette notion). Même si certaines entreprises arrivent à vivre avec le logiciel libre, leur rentabilité est clairement moins immédiate que celle de l'informatique privatrice, sans doute parce que plus éthique que cette dernière ! Il s'ensuit une moins grande puissance financière pour le logiciel libre et une défense pas si immédiate d'un business model qui n'en est pas vraiment un !

Ensuite, le LL a une force et une faiblesse: la diversité de son mouvement. Rien qu'au niveau des licences, il existe beaucoup de variations à l'instar de l'opposition GPL et BSD. Mais, l'ensemble général reste du logiciel libre (du code BSD est libre comme du code GPL). Cette diversité pose problème lorsqu'on se rend compte que des boîtes privées utilisent du code BSD sans contribution et sans redistribution. À l'inverse, si un logiciel extraordinaire sort sous licence BSD, on est bien content d'en disposer librement.

Le mouvement de l'Open Source qui est différent du logiciel libre est également force de proposition, car il attire d'autres publics (financiers en majorité) mais on peut dire que son modèle, qui est moins libre, modifie l'aspect et les idées du logiciel libre. La diversité c'est bien, mais il ne faut pas s'éloigner des fondamentaux. C'est tout le combat de RMS.

De la même manière, il ressort du livre que Linus Torvalds et tout un groupe de hackers pensent que le logiciel libre n'est qu'un moyen de produire du code de haute qualité technique. Pour eux, la liberté n'est pas une valeur qui se suffise à elle-même mais jute un moyen d'atteindre leur cœur de valeur: la pureté technique. On peut imaginer (c'est peu probable mais pas impossible) que si l'on trouvait un mécanisme propriétaire qui permettrait d'atteindre cet objectif, ils s'y engouffreraient sans sourciller, abandonnant le libre.

Ainsi, lors de l'arrivée du noyau Linux, l'amalgame entre noyau et système d'exploitation a fait que même si le projet de Torvalds utilisait de nombreux éléments du projet GNU, les développeurs avaient une vision mono-centrée sur le noyau et ils adaptaient et modifiait les éléments de GNU non pas dans un objectif d'universalité mais uniquement pour que ça fonctionne avec Linux. Ne pas parler de GNU/Linux revient finalement à faire une séparation nette entre deux projets de logiciel libre. Mais il faut ajouter que les deux projets sont complémentaires: Linux ne serait rien sans GNU et GNU devient enfin utilisable en production grâce au noyau Linux !

Au final, la diversité permet d'attirer du monde, d'avoir de bons éléments techniques. Mais elle risque également de piller les valeurs fondamentales du logiciel libre. C'est une menace de plus. À la lumière de cette présentation, on comprend mieux la position de Stallman qui nous demande de ne pas oublier le point de départ: la liberté !

Les projets de logiciel libres ont pris de la maturité en 16 ans. Dès maintenant, nous avons des logiciels performants, souvent mis à jour, souvent novateurs qui permettent à tous de manipuler des ordinateurs. Ils peuvent rivaliser sans problème avec les logiciels privateurs voire les dépasser. Ils peuvent donc être perçus comme des concurrents des marchés privateurs et donc entrent en conflit avec ces structures qui ont tout un arsenal d'outils pour se défendre. Ainsi, ces grandes entreprises du monde informatique privateur pèsent de tout leur poids sur le "politique" afin que le législateur tente de leur donner raison. Le rapport de force et de puissance est clairement favorable à ces grandes entreprises qui disposent de moyens financiers très puissants ce qui n'est pas vraiment le cas du logiciel libre qui dispose, pour sa part, d'excellents avocats et activistes.

Dans un premier temps, Stallman a su utiliser la force de ces entreprises pour lancer son mouvement.C'est parce que la GPL s'appuie sur la toute puissante législation sur la propriété intellectuelle que le logiciel libre a pu exister et perdurer sans se faire absorber tout cru. A l'époque, c'était très fin comme analyse: utiliser l'arme de son adversaire pour mieux l'atteindre. Néanmoins, l'informatique privatrice n'a pas dit son dernier mot et tente via les brevets logiciels de refermer le code source des programmes. Là encore, Stallman innove et propose la GPLv3 qui gère ce problème particulier.

Ainsi, même si le logiciel libre est un acteur de poids dans le monde numérique d'aujourd'hui, il est soumis à un grand nombre de forces, tant externes qu'internes qui le déstabilisent. Rien n'est gagné et la lutte continue…

Pourquoi nous avons besoin de RMS

Au-delà des controverses et des divergences, Richard Stallman incarne à lui seul le mouvement du logiciel libre. Pour beaucoup d'entre nous, s'il faut associer un nom au logiciel libre, nous retiendrons RMS car c'est lui qui lancé le mouvement et il y est toujours fortement actif. Linus Torvalds aurait pu prendre le flambeau mais, il est resté davantage du côté de la technique où il excelle dans le projet du noyau.

Richard Stallman est lucide sur l'avenir du mouvement. Il sait faire les bons choix depuis le début avec son travail sur Emacs ou encore le lancement du projet GNU et la création de la GPL. Mais il est au courant des problèmes à venir ou bien qui se posent en ce moment. Maintenant que la GPL est un fait, les pressions se détournent du droit du copyright pour passer sur l'interdiction des contournements ou sur les brevets logiciels ! La GPL v3 ainsi que le discours de RMS sur ces points montre bien qu'il a un regard d'ensemble sur le problème de la liberté numérique.

Ensuite, comme le livre le montre, Stallman est moins centré sur la technique et plus sur les valeurs. Ceci explique qu'il est prêt à utiliser un logiciel libre mais moins bon techniquement qu'un logiciel privateur. D'autres utilisateurs ne font pas ce choix, mais ils ne se rendent pas compte à quel point ils mettent à mal leur liberté. À court terme, leur stratégie peut sembler valide mais, à long terme, ils auraient intérêt à utiliser un logiciel libre moins bon mais qui pourra, grâce à leur contribution, s'améliorer pour combler tous leurs besoins.

Car le logiciel libre n'a de sens que parce qu'il prône la liberté: à la base, ça reste du logiciel, au même titre que le logiciel privateur ou non libre. La seule différence avec la masse de code fermé est cette liberté. La technique n'a rien à voir avec ça. C'est pourquoi Stallman, qui est quelqu'un de très doué pour le code (et donc la technique), passe son temps non pas à coder mais à faire des discours pour apporter la bonne parole à tous les utilisateurs.

Pour terminer, Richard Stallman est le gardien du LL. Qui incarne le mieux le défenseur des valeurs de la liberté ? Plus ce gardien sera solide dans ses convictions, plus le mouvement sera bien défendu et saura résister aux forces qui s'activent contre lui.

Voilà pourquoi nous avons besoin de Richard Matthew Stallman…

Apparté: pourquoi il FAUT dire GNU/Linux

Je suis un produit de la fin des années 70 ! L'informatique est venue à moi par l'utilisation de microordinateurs dans les années 80. Autant dire tout de suite, que je n'ai jamais connu directement l'éthique hacker et que les débuts du mouvement du logiciel libre me sont passés complètement au-dessus, essentiellement par manque de propagande: dans ces années-là, Internet n'existait pas encore en France.

J'ai donc découvert l'informatique via les logiciels propriétaires et je dois reconnaître que ce fut une perte de temps non négligeable ! En effet, à l'époque, j'aimais programmer. Mais j'étais bien obligé de prendre ce qu'on me donnait. Et ce qui était mis à ma disposition par les grandes firmes de ce monde était vraiment peu… Pas de manuel, pas de compilateur complet, des logiciels pas forcément faciles à utiliser, des logiciels très chers pour un enfant-adolescent et surtout, pas de moyen d'échanger avec d'autres personnes pour récupérer des conseils et des avis.

Lorsque le noyau Linux est arrivé, il a fait boule de neige. J'avais entendu parler d'Unix, car mon père s'intéressait à ce système d'exploitation un peu différent et qui semblait constituer un "truc" pour les pros ! Ça ne m'a pas empêché de lire la doc qu'il avait achetée et de découvrir, par la théorie, ce système. A l'époque, MS-DOS faisait vraiment pâle figure avec sa liste hyper limitée de commandes et donc son faible niveau d'interaction. Le simple manuel Unix montrait qu'il existait un monde ou l'interaction était beaucoup plus riche. Aujourd'hui, cette comparaison serait superflue mais, à l'époque, il ne faut pas oublier que toutes les personnes qui utilisaient un micro-ordinateur de type PC inter-agissaient avec leur machine uniquement via le shell MS-DOS !

A travers le manuel, j'avais vu une documentation sur un éditeur de texte puissant nommé MicroEmacs et ce nom est resté dans ma mémoire. Pour résumer, je connaissais un peu Unix sans jamais y avoir trop toucher. Mais un jour, j'ai vu arriver un CD-ROM contenant une des premières distributions GNU/Linux (Yggdrasil de mémoire). Grâce à lui, j'ai enfin pu voir à quoi Unix ressemblait. Ce n'est que quelques années plus tard que j'entendis parler de Linux et du noyau qui était dessus et des logiciels libres, par la même occasion.

Donc, moi aussi, j'ai commencé à parler de "Linux" pour qualifier un système d'exploitation de type Unix mais en libre. C'était la seule référence que j'avais à l'époque. J'étais complètement dans l'erreur mais plus parce que je ne savais pas grand-chose du projet GNU, du logiciel libre et de son histoire. Pendant ces quelques années, pour moi aussi, les personnes qui insistaient pour dire GNU/Linux à la place de Linux me semblaient trop intégristes pour être sérieuses.

Voici pourquoi je me suis trompé…

D'abord, il faut bien retenir que Linux est un noyau, c'est-à-dire le programme qui interagit avec votre machine et qui permet à d'autres programmes de s'exécuter. Ce n'est pas autre chose ! Avec un simple noyau, vous ne faites pas grand-chose… Linux a été publié pour la première fois vers 1992-1993.

GNU est un projet de système d'exploitation libre lancé par RMS et la FSF vers le milieu des années 80. Un système d'exploitation c'est un noyau plus tous les logiciels "de base" qui permettent à l'utilisateur d'interagir avec sa machine. Le projet GNU est le fruit d'un effort commun initié très tôt. Les membres du projet ont effectué un travail d'importance cruciale en récupérant les programmes de l'époque et en les libérant (en demandant à leurs auteurs de les publier sous licence libre). Ils ont également mis au point un ensemble d'outils pour permettre au code source des programmes du projet GNU d'être portés sur un grand nombre de plateformes. Tout ceci s'est déroulé bien avant la mise au point du noyau Linux. D'ailleurs GNU a également un projet de noyau libre: Hurd !

Sans GNU, Linux est peu utilisable. Sans Linux, GNU peut aujourd'hui fonctionner, par exemple avec le noyau Hurd (mais pas trop en production) ou avec le noyau BSD. Mais à la base, le code qui est utilisé dans les distributions "Linux" vient en très grande majorité du projet GNU.

Comme on le voit assez bien, GNU a un côté technique mais c'est davantage sur le plan des valeurs qu'il gagne à être reconnu.

C'est pour toutes ces choses qu'il FAUT dire GNU/Linux lorsque vous parlez du système d'exploitation que vous utilisez sur votre machine. Employez Linux uniquement lorsque vous parlez du noyau.

Conclusion

Avant de lire ce livre, j'appréciais déjà Richard Stallman. Je connaissais un peu son œuvre (l'histoire de l'imprimante est un classique). À la fin de ma lecture, j'ai enfin compris qui il était vraiment, quelles étaient ses motivations et pourquoi son comportement était si particulier. Je ne l'en apprécie que davantage. C'est une figure du LL et son action relève de la pérennité du mouvement. Puisse Saint Ignucius bénir nos programmes libres…

Encore une fois, je vous recommande d'acheter le livre: vous passerez de très bons moments.

PS: J'ai commencé à rédiger ce texte sous Vim que j'utilise depuis quelques années. Après avoir lu et relu le livre "Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, une biographie autorisée", je me suis mis sérieusement à Emacs, par respect pour son auteur originel. J'ai donc écrit la fin de l'article avec Emacs v23 et je sais par ailleurs que je ne reviendrai pas vers Vim car, en plus des valeurs qu'il porte, Emacs est également bon techniquement !