Twin Peaks, the end🔗

Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Blog/

#cinema

Le futur n'en termine plus de faire référence au passé, en passant par le présent. C'est une période de temps qui finit par se faire rattraper, indéniablement. Et avec Twin Peaks, on en a la preuve absolue…

Introduction

J'ai été un grand fan de Twin Peaks. J'ai toujours apprécié cette ambiance si particulière de mélange mystique et confus autour d'une époque, d'une ville, d'une trame, d'une certaine forme de science-fiction. Il y a quelques années, j'avais enfin eu la chance de tout regarder, enfin les deux premières saisons. J'avais été particulièrement déçu par la fin qui sentait vraiment une sortie en forme de pirouette qui annonçait plutôt une exfiltration en catastrophe d'une série dont on veut arrêter la diffusion, plutôt qu'un achèvement. J'ai appris à vivre avec ça, avec cette frustration. Avec le temps, c'était un peu comme un enseignement, une explication: ce que touche David Lynch part parfois en vrille, surtout à la fin (visionnez Wild at Heart ou Blue Velvet et vous serez convaincus). Oui, notre cerveau est souvent frustré lorsqu'il manque de la logique. Mais la vie, passé un temps certain, nous apprend à faire avec ce manque de logique, cette incertitude. On voit qu'on peut vivre tout à fait normalement avec ça d'ailleurs.

Et puis, cette année, je me suis enfin aperçu que le troisième volet de Twin Peaks, la troisième saison était sortie en 2017, soit déjà il y a plus de 6 ans. J'ai enfin pris le temps de le voir, et en VO, qui plus est. Comme j'avais fait un petit pitch pour célébrer ma première vision de Twin Peaks, je ne pouvais pas couper à refaire un pitch sur cette nouvelle saison (et dernière à mon humble avis). Attention, ça va spoiler à mort alors avant de lire ce qui suit, assurez-vous d'aller voir la série si vous ne l'avez pas déjà fait…

Revisionner Twin Peaks, l'original

A l'occasion, j'ai aussi pris le temps de revoir la 1ère et la deuxième saison en VO, chose que je n'avais pu faire à l'époque. Avec le recul, j'ai vu quelque défauts apparents dans la deuxième saison qui sentait le flou de la direction artistique et du risque de s'enfoncer vers ce délire si typique de David Lynch, dans certaines situations, surtout à la fin. Il est vrai que quand on découvre qui a tué Laura Palmer, la série se vide dramatiquement aussi vite qu'elle s'était remplie dans la saison 1. Reste toutefois, cette petite ville, cette ambiance d'enquête policière mystique, ces pistes brouillées, ce surnaturel qui inquiète notre rationnalité, ce truc qui fleure bon ce début d'années 90 dans l'amérique triomphante mais "slow pace" qu'on trouve à Twin Peaks.

Alors que dans mon premier visionnage, j'avais trouvé que Sherilyn Fenn était le personnage féminin central majeur de la série, cette fois, j'ai trouvé que c'était Lara Flynn Boyle qui était au dessus de la mélée, avec son passage de Donna, la petite fille à papa bien sage à Donna, la jeune femme rebelle qui se rend compte, qui prend conscience de la cruauté de la situation. Et puis Mädchen Amik était aussi plus complexe que la simple Shelly qui subit son mari violent. C'était d'autant plus évident par rapport à son retour dans la 3ème saison.

Mais sinon, pour le reste, j'ai retrouvé tout ce que j'avais apprécié dans ces 2 premières saisons: la musique, les paroles de Julee Cruise, toute cette petite présentation détaillée de tous les protagonistes, Kyle MacLahan au poil dans son rôle de Dale Cooper, le Shériff Harry Truman avec ses méthodes peu conventionnelles, la légèreté de Lucy Moran et son idylle avec Andy, le deputy amérindien Tommy "Hawk" Hill (Michael Horse), ces bureaux de police tout en bois plaqué, l'humidité permanente de la chute d'eau et de la brume (presqu'un personnage ce brouillard, le frère de killer Bob), Sheryl Lee qui joue admirablement Laura Palmer, la mort incarnée, etc.

Twin Peaks Season 3

Alors, maintenant qu'on a parlé de cette deuxième saison, que penser de la saison 3 tu vas me dire lecteur ? Et bien je dirais qu'elle se regarde comme la fin de la saison 2 en ayant pris soin de prendre tout au second degré Lynchien, c'est à dire en acceptant qu'il existe une certaine forme d'illogique dans la vie ou dans une trame d'histoire.

Ce qui était vraiment cool, c'est que l'ambiance a été vraiment conservée. C'était ce qui faisait la touche Twin Peaks et, sous quelques réserves, on la retrouve totalement. D'abord dans les lieux. Tout ce qui se passe dans la petite ville de Twin Peaks est resté: le restaurant de Norma (the Double R diner), le bar à scène (the Bang Bang Bar), les rues, la forêt, la brume, le Great Northern Hotel, etc. Cette ambiance, un peu sauvage, un peu brute, un peu irréelle et pourtant plausible.

On retrouve aussi la majorité des protagonistes de l'époque qui ont pris 30 ans au passage (ce qui n'est pas un détail). Mais ils sont clairement restés dans leur rôle respectif: Dale Cooper est toujours coincé dans un monde parallèle, David Lynch est toujours un agent du FBI, Madchen Amik travaille toujours avec Norma qui anime toujours son restaurant, elle vit avec son amour passé, Dana Ashbrook (Bobby) qui est devenu adjoint au Shériff. Benjamin Horne qui tient toujours son hôtel et qui est un peu resté le même (en plus vieux certes), Peggy Lipton (Norma) est toujours en pseudo-couple avec Everett McGill (Ed Hurley) et James Marshall roule toujours en moto (même s'il est maintenant chauve). A n'en pas douter, David Lynch joue ici la nostalgie avec les acteurs de l'époque qui lui reste et la recette fonctionne pour tous les fans de la première heure. C'est un angle finalement assez osé: 30 ans d'écart, c'est énorme. On aurait pu tout relancer avec d'autres éléments, avec la même base, sans doute pour faire d'autres saisons. Mais là, on a simplement la suite qu'on attendait et qui nous fait repartir dans le passé, tout en étant 30 ans dans le futur. C'est magique.

Autre constante de Twin Peaks: la musique. Le son a toujours été un élément majeur de Twin Peaks. Pour écouter la bande originale depuis plusieurs décénnies, je peux vous garantir qu'elle fait partie depuis toujours de l'univers de Twin Peaks. Ecouter Julee Cruise me replonge instantanément dans le Bang Bang Star, pendant la nuit, entre deux bières. Pour la saison trois, on retrouve, en plus fréquent cette ambiance typique: David Lynch a choisi de terminer chaque épisode de la saison trois par une musique ,avec un groupe différent, au Bang Bang Star. Personnellement, j'ai adoré le concept d'inviter des groupes à terminer chaque épisode dans ce fameux bar. J'y ai découvert des nouveaux groupes d'intérêt (The Chromatics par exemple) qui collent complètement avec l'esprit Twin Peaks. C'était tout simplement bon de faire comme ça: conserver un côté emblématique de la série, en lui ajoutant un zeste de modernité, sans trahir l'ambiance et l'importance du son Twin Peaks. A mon sens, encore un coup de génie de Lynch et de son équipe et une manière originale de mettre un point final à un épisode.

Venons-en maintenant à ce qui est différent (en bien comme en mal). D'abord, comme on part de la fin de la saison 2, complètement à l'arrache illogique, c'était dur de recommencer 30 ans plus tard. Dans les premiers épisodes de la saison 3, ça se traduit par une grande difficulté à se raccrocher à l'histoire. Par exemple, il y a un épisode qui apparaît comme complètement en orbite Lynchéenne (c'est à dire à plusieurs milliards d'années lumières): c'est l'épisode 8 ("Gotta Light?"). Je ne vais pas le spoiler, mais je l'ai trouvé complètement inutile et explosé. Avec le recul, je me demande si ce n'est pas un hommage à Eraser Head. Des contenus comme ça, complètement bizarres, on en trouve tout le temps le long de la saison 3. C'est déstabilisant, potentiellement initiateur d'arrêt de visionnage, mais c'est suffisamment bien fait pour ne pas les déclencher. Du David Lynch bien fait en somme.

Pour autant, si le monde de la loge noire (The Black Lodge) est déstabilisant, je trouve que David Lynch a bien sû le retranscrire dans cette saison 3. C'était forcément un passage obligé, mais ce lieu reste un point fort de la saison 3, alors que ça n'aurait pu consister qu'un rapide point de passage. Le truc du reverse voice enregistré à l'envers reste aussi génial (si vous voulez savoir comment ça se fait, visionnez ça ou encore ça).

Et pour terminer sur cette saison, je ne peux pas faire autrement que de faire le point sur ce qui m'a manqué. Et force est de dire que ce qui m'a manqué, c'est de retrouver tout comme en 1990. Avec le recul, je sais bien que ça n'aurait pas été possible, comme si Twin Peaks avait le pouvoir de me faire rajeunir ou m'aurait permis moi aussi de vivre dans une parenthèse de temps, insensible à ce déplacement temporel qui ne va que dans un seul sens.

Ce qui nous manque tous, c'est d'abord la présence de Michael J. Anderson dans le rôle de The Man from Another Place. À n'en pas douter, sa présence était une part importante de la signature de Twin Peaks. En plus, il est toujours vivant et il aurait pu reprendre son rôle. Dommage de le voir absent de la pièce rouge, il nous manque bien dans ce rôle si déstabilisant, mais si emblématique de ce monde à part.

J'aurais aussi adoré retrouver Michael Ontkean en shériff, même à la retraite. Je ne dis pas que Robert Forster, dans le rôle du Shériff Frank Truman est sans intérêt. Juste qu'un duo Kyle MacLahan et Michael Ontkean, comme au bon vieux temps, ça aurait été ultra emblématique en 2017. On n'imagine pas à quel point les deux ensemble auraient fait des miracles et les influences sur l'arc narratif que ça aurait eu.

Enfin, j'aurais adoré revoir Lara Flynn Boyle, dans son rôle de Donna. Qu'est-elle devenue ? Est-ce-qu'elle est partie de Twin Peaks, est-ce-qu'elle a fini par abandonner définitivement James ? Avec qui vit-elle, qu'elle est sa vie de maintenant, 30 ans plus tard, quelles sont encore ses relations avec Twin Peaks et ses habitants ? C'est dommage de n'avoir pas pu caster Lara Flynn Boyle pour reprendre son rôle initial, elle qui creuvait l'écran, qui était un des personnages majeur des premières saisons. Mais, je me console en me disant que j'aurais sans doute été déçu de la revoir 30 ans plus tard: j'ai trouvé que Sherilynn Fenne avait vraiment pris de l'âge, même si elle restait toujours aussi fringuante dans la danse d'Audrey (et la musique qui va avec), comme un clin d'oeil sur le passé. A l'inverse, j'ai complètement retrouvé Shelly dans la Mädchen Amik de 2017, comme si le temps n'avait eu presqu'aucune emprise sur elle.

Pour terminer sur cette saison 3, il restera, pour toujours, ce cri de Laura Palmer qui hantera pour toujours mon cerveau: ce cri d'horreur qui fait la signature définitive de toute saison de Twin Peaks et que David Lynch a su inscrire en tout temps au bon endroit, au bon moment.

Twin Peaks Season 4?

Certains veulent encore croire qu'il y aura une suite. Mais, pour moi, je sais qu'il n'en sera jamais rien. Tous les gens qui ont fait Twin Peaks sont en train de disparaître. Ils l'ont d'ailleurs fait quelques temps après la fin de la diffusion du dernier épisode de la saison trois.

Voici une liste (morbide s'il en est, mais bien réaliste malheureusement):

A ce stade, le Twin Peaks de 1990 est trop ancien, trop dans le passé pour le faire revivre sans tout changer. Et je suis persuadé que David Lynch, qui me semble tellement inscrit dans la nostalgie, la mélancolie et aussi le respect de l'original puisse encore contraindre la série à se faire rebooster avec des acteurs différents.

Et puis Twin Peaks n'aura jamais de suite car David Lynch a fait 10 films et il va s'arrêter là: son dernier film date de 2006 et, selon mon appréciation, il était un de ses plus mauvais (avec Eraser Head, bien entendu, que je n'ai pas compris).

Et puis Twin Peaks n'aura jamais de suite car tous les acteurs emblématiques de David Lynch sont tous venus faire un adieu dans un ou plusieurs des épisodes de la troisième saison: Laura Dern en particulier (dans Wild at Heart, elle crève littéralement l'écran cette paléontologue de Jurassic Park), mais aussi Naomi Watts (Mulholland Park), qui je trouve a ici un rôle qui lui va bien, la femme de Dougie. Je pourrais continuer la liste pendant longtemps, mais ça n'aurait guère d'intérêt, vous avez compris que c'est fini…

Conclusions

Vient maintenant l'heure des conclusions: faut-il regarder la dernière saison de Twin Peaks ? La réponse est forcément oui, si vous êtes un fan des deux premières saisons. Vous serez déstabilisé comme David Lynch sait si bien le faire. Mais vous serez aussi enchanté de redécouvrir les années 90, trente ans plus tard. Et ça, ça vaut son pesant de cacahuètes.

Une autre conclusion, c'est qu'il ne faut pas prendre la dernière saison de Twin Peaks comme une tentative d'explication rationnelle de la fin de la deuxième saison. Vous accédez encore une fois à un monde nouveau, mais qui a déjà disparu. Parfois, on retrouve de la logique, parfois, on perd toute notion de normalité. Mais, au final, n'est-ce-pas ça qui fait une saison de Twin Peaks ? Moi, je crois que oui.

Ma dernière conclusion, restera la réponse à la question: quel est, selon-vous, le meilleur épisode de Twin Peaks ? Après avoir tout soupesé, hésité avec le premier épisode, je dirais que c'est celui qui est la fin véritable de Twin Peaks: c'est l'épisode 7 de la saison 2 ("Lonely Souls"). On comprend qui a vraiment tué Laura Palmer, on y voit la complexité de Killer Bob qui a pris contrôle de Leland Palmer, on revoit pratiquement la scène du crime. Et puis surtout, on peut trouver probablement le moment le plus Lynchéen de toute sa carrière; ce moment on tout le monde veut vous expliquer quelque-chose que vous ne pouvez pas comprendre, ce moment où la réalité échappe à tout le monde, mais finit par rejoindre l'explication que seuls les initiés peuvent saisir, ce moment ou on peut écouter la chanson la plus triste de Julee Cruise (The World Spins) en pleurant avec Lara Flynn Boyle, la jeune femme la plus touchante du monde à cet instant. C'est le moment le plus émouvant de Twin Peaks, le paroxysme de la série. Après l'avoir vu et revu, c'est devenu une certitude pour moi.

Voilà, ça m'a fait du bien de me replonger 12 ans plus tard vers un nouveau pan de cette histoire, de ce monde à part dans lequel je me sens finalement si bien au point de ne plus rien en attendre, d'en profiter tel qu'il est, à jamais gravé dans la pellicule (et les octets du fichier numérique qui en découle bien sûr).