Shetland+Bike = Fail !🔗
Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/
Tout est dans le titre qui résume mes dernières vacances…
J'aime les coins paumés et situés au Nord car, en général, vu les conditions climatiques, il y a peu d'habitants. Bref, l'Islande, L'Écosse, les Orcades, la Norvège, le Groenland, le Canada sont des lieux qui m'attirent. Pour 2011, j'avais donc prévu de visiter les îles Shetlands qui sont au niveau du 60ème parallèle Nord, soit la même latitude que la pointe sud du Groenland.
Vu la taille de cet archipel, j'avais bien envie de l'explorer avec mon vélo. Une centaine de kilomètres pour aller de la pointe sud jusqu'au nord me laissait une bonne marge de manœuvre en 15 jours avec ce moyen de transport. Surtout que le réseau routier et les ferries permettent de se déplacer assez facilement (du moins le croyais-je).
Une des particularités de l'Écosse (dont les Shetlands font partie) en ce qui concerne la randonnée, c'est la grande liberté qui est laissée aux individus pour explorer et s'imprégner de la Nature. Le scottish outdoor access code est un texte de loi qui réglemente les activités en extérieur sur tout le territoire écossais. Vous pouvez le lire par vous-même et vous constaterez son intérêt pour le randonneur: celui-ci peut aller et venir presque partout où il veut, de même que bivouaquer comme bon lui semble, y compris sur des propriétés privées.
Dans la pratique, on peut donc marcher, dormir, manger sur tous les terrains même privés en dehors des jardins attenants aux maisons et des champs qui sont en train d'être moissonnés ! Ainsi, vous pouvez pénétrer dans n'importe quelle pâture, même s'il y a des animaux (à vos risques et périls et du moment que vous ne les énervez pas). C'est une stratégie ouverte qui me plaît beaucoup, car elle est claire et pratique: pas besoin de passer du temps à trouver un propriétaire (bien souvent situé très loin) pour lui demander l'autorisation de dormir sur son terrain… ce qui est un vrai plus lorsqu'on vient de se taper 10h de marche et qu'on est exténué !
En termes de météo, j'avais vu que les températures oscillaient entre 14 et 9°C. Donc, rien d'insurmontable ! Je me doutais bien qu'il y aurait de la pluie aussi je me suis équipé en conséquence en prenant des vêtements imper-respirants et une deuxième paire de chaussures complètement étanches (des bottines en caoutchouc) qui m'ont sauvé la vie. Pour résumer, j'étais plutôt bien équipé et d'ailleurs ce matériel ne m'a pas du tout fait défaut (c'est le point positif des vacances).
Bref, un beau jour de début août 2011, me voilà parti depuis Calais pour Aberdeen en voiture (avec le vélo dans le coffre) pour prendre le seul ferry qui monte dans les Shetlands. Déjà, ça commence bien: je rate mon bateau à 15 minutes près ! Qu'importe, je suis en vacances, je prendrais le suivant !
Le lendemain, je pars donc en chargeant mon vélo dans le Ferry (c'est gratuit) et en laissant ma voiture à Aberdeen pour me retrouver le lendemain matin à Lerwick, le "chef lieu de canton" des Shetlands. Et là, c'est le drame: de la pluie et du vent qui ne s'arrêtent jamais… Au bout de 5 minutes de vélo, je suis trempé, car je n'avais pas pris le temps de me changer et de mettre mes vêtements imperméables, ces derniers étant assez peu confortables pour voyager sur un ferry. Aussi, pour le premier jour, je décide de dormir à l'auberge de jeunesse (qui est très bien au passage) en me promettant de partir, dès le lendemain, explorer le sud avant de remonter vers le nord.
C'est de bonne heure que je grimpe sur mon fidèle destrier mécanique et que je me mets en chemin. A peine sorti de la ville de Lerwick, j'ai le temps de comprendre ma douleur: malgré mon chargement ultra-léger (l'ensemble de mon matériel de bivouac, mes vêtements, le sac et 2L d'eau pèse moins de 10Kg sans nourriture), je n'arrive pas à avancer à plus de 5km/h !!! Le relief des Shetlands est plutôt plat (entre 0 et 400m au plus haut) même s'il y a quand même quelques cotes de niveau moyen. Après avoir vérifié la pression de mes pneus, je découvre le coupable: le vent !
Ce dernier est plein sud donc, en plein dans ma face et les rafales m'obligent même à pédaler en descente. Je suis obligé de rouler sur le rapport qui développe le moins tout le temps, même sur le plat ! C'est dur, c'est très fatiguant et comble de malheur, ça me fait transpirer à fond sous mes vêtements. En plus, la pluie ne s'arrête pas de tomber. Je prends une sacrée claque, moi qui fais quotidiennement 15km par jour pour aller au travail en moins de 50 minutes (avec 10Kg en moins, certes)… J'en chie !
Au bout de 1h30, j'arrive à Scalloway, une petite ville paumée mais qui me semble sympathique malgré le climat de grisaille. Après ce détour, je reprends la route principale pour descendre à mon objectif de la journée: St-Ninian Isle et son tumolo. Vers 13h, je fais une pause dans des toilettes publiques qui ont l'avantage d'être à l'abri du vent et de la pluie. Même si je mange, je ne parviens pas à me réchauffer (en changeant de vêtements pourtant).
Vers 16h, j'arrive du côté de Saint-Ninian et c'est à ce moment que je vois un coin de ciel bleu ! Petit à petit, le vent baisse en intensité, la pluie cesse et le soleil fait son apparition. Je suis très heureux: après l'effort, le réconfort ! En plus, la vue est magnifique:
Pour me remettre, je fais le tour de l'île et décide d'y dormir la nuit dans un coin abrité par un mur de pierre et plein ouest. J'avais dans l'idée de m'endormir devant un coucher de soleil… mais j'étais un peu trop optimiste. Vers 21h, les nuages ont fait leur apparition. Au loin, on doit distinguer l'île de Foula.
La nuit est sympathique: je suis quand même assez fatigué et je dors bien ! Le lendemain est moins flatteur: la grisaille est de retour avec la pluie (pas forte au début). Mon plan consistait maintenant à remonter vers le Nord pour le reste du séjour. Avec stupéfaction, je constate que le vent a tourné: il est plein Nord ! Je rejoins le continent, récupère mon vélo et me voilà en train de jurer après le vent et le climat !
J'arrive à Lerwick où je fais une pause déjeuner. Il pleut comme vache qui pisse et heureusement que mes vêtements ne craignent pas (trop) la pluie. Je fais quelques courses pour avoir un peu d'autonomie alimentaire. À ce propos, un des super-marchés de Lerwick est ouvert de 7h du matin à 23h le soir tous les jours, dimanche inclus! Peut-être que c'est un horaire spécial Shetland sinon ça m'inquiète fortement car, si des imbéciles peuvent le faire là-bas, il est clair que ce genre d'horaires pourrait débarquer dans notre pays avec toutes les conséquences sociales négatives que ça peut avoir ! Ah mais, pardonnez mes réflexes de bolchevique ;-), je m'emporte pour rien ! Car il est bien évident qu'il est essentiel de pouvoir offrir un vrai service de vente pour la foule de personnes qui se mettent en tête de faire un bon gâteau à 21h en n'ayant ni beurre ni farine en stock. Personnellement, entre prendre un peu de temps pour planifier ce dont j'ai besoin, faire un peu de stock tout en permettant à une majorité de personnes d'avoir une journée de repos garantie par semaine c'est bien plus intéressant que de confier la gestion de tout ça à un supermarché en obligeant un paquet de personnes à faire fi de leur journée de repos. Mais bon, si ça se fait, c'est que je dois être trop con !
Muni de mon ravitaillement, je me lance à l'assaut du Nord tout en ne sachant pas où je vais dormir le soir. C'est l'aventure !!! Mais qu'est-ce-que c'est dur ! La pluie combinée à un vent toujours plus fort vient me piquer la seule partie exposée aux éléments de mon corps: mon visage. Ma veste claque dans les rafales. J'avance très péniblement. Le vent est une plaie. De plus, il n'y a quasiment pas d'arbres dans les Shetlands. Combiné avec le manque de relief, la conséquence immédiate c'est qu'il n'y a pas d'abri naturel. Tout est exposé.
Vers 17h30, j'ai encore faim et je sens que la fatigue se fait sentir. Sur cette route, il n'y a ni village, ni abri. Je suis obligé de faire une pause sous la pluie et le vent, sur le bord de la route. Puis je reprends ma route péniblement. Vers 18h30, je croise un panneau qui indique Böd. C'est une sorte de refuge. Il pleut depuis le matin et je me rends compte que ça affecte mes vêtements… Ces derniers sont imper-respirants, c'est-à-dire qu'ils bloquent l'entrée d'eau mais permettent d'évacuer la transpiration qui vient de l'intérieur. Toutefois, je subodore que lorsque la membrane extérieure est gorgée d'eau, l'évacuation de l'intérieur ne se fait plus. Je suis donc trempé de l'intérieur. De plus, je note que même si ma veste dispose de fermetures éclairs étanches, l'eau a quand même pénétré. Mes poches sont gonflées d'eau (ça me fait presque des seins) et ce qu'il y avait à l'intérieur est trempé (dommage, il y avait mon chronomètre).
Dans ces conditions, je décide de dormir au sec: direction le Böd. J'y croise un couple de Français aussi frigorifiés que moi. Ils arpentent les Shetlands depuis une semaine et m'indiquent que le climat a toujours été aussi mauvais sauf hier après-midi ! Mais ils ont une voiture et ils n'affrontent pas le vent (et ils ont bien de la chance). Le Böd est un ancien séchoir à poisson des années 1900. La nuitée coûte quand même 10£ mais j'ai pu prendre une douche.
Le lendemain matin, je traine avant de partir, car le temps est toujours à la grisaille et au vent. Plusieurs fois, je manque d'être renversé par les rafales de vent lorsque ma direction s'écarte du Nord. C'est assez dangereux, car je me rapproche du terminal pétrolier de Voe et il y a quelques poids-lourds qui me frôlent. J'arrive au ferry de Sullom Voe à destination de l'île de Yell. Le temps est toujours aussi exécrable et le vent réduit toujours ma progression en vélo. C'est très pénible…
Vers 13h, j'arrive au Ferry de Sullom Voe qui va me permettre d'aller sur l'île de Yell. La traversée ne dure pas longtemps (10 minutes), mais comme on est au sec, à l'abri du vent et que c'est chauffé, je fais ma pause déjeuner. De l'autre côté, Unst est telle que je m'y attendais: un désert humain ! Il y a très peu d'habitations et toutes sont situées vers la mer. L'intérieur des terres n'est qu'une vaste étendue de bruyères. Mais même sur cette île, le vent et la pluie sont de la partie.
Mon objectif pour la soirée: le village abandonné de Bouster ou bien le böd de Unst. Je continue patiemment ma route, sous la protection de ma veste, de mon pantalon et de mes bottines. Je transpire à grosses gouttes et, encore une fois, je suis trempé de l'intérieur (et de l'extérieur). Au bout de quelques heures, je parviens au croisement vers Bouster que j'aperçois d'ailleurs au loin.
Mais je suis tellement naze que je me contrefiche de la vue et de l'excitation de voir enfin une structure humaine à l'abandon. Un gros grain qui approche au loin vient mettre à plat toute ma motivation. Je fais le topo de la situation:
- Ça fait 3 ou 4 jours qu'il pleut à fond.
- Visiblement, ça ne va pas s'améliorer.
- Mes vêtements sont encore trempés.
- J'en chie à fond physiquement.
- Mon niveau de motivation est à peu près aussi élevé que la distance entre mon talon et la semelle intérieure de mes chaussures.
- Certes, j'aime la randonnée et voyager en vélo mais ça ressemble plus à un stage commando qu'à autre chose: il n'y a pas assez d'éléments positifs pour alléger la situation climatique.
Bref, j'en ai plein le cul (c'est la phrase que j'ai employée à ce moment). Je décide donc, avec de nombreuses hésitations de carrément rentrer. Hé oui, il arrive un moment où, à force de résister, la corde casse et tout part avec. Une fois toute motivation perdue, il ne reste qu'une chose à faire: terminer une bonne fois pour toutes le projet, en tirer les enseignements et passer à autre chose.
Lorsque ma décision finale est prise, il est près de 17h15. Je m'en retourne vers Sullom Voe où j'espère avoir le temps de revenir au böd pour la nuit. Mais, cette fois, le vent est dans ma direction et je file comme l'éclair. A 18h, je suis au böd ! C'est vraiment incroyable ce qu'on peut faire avec un vent puissant dans le dos. Parfois, sur les faux plats qui montent, je me rends compte que pédaler est inutile: le mouvement de mes jambes sur le pédalier ne fait que ralentir la cadence imposée par le vent. Vu la rapidité, je décide de voir si je peux atteindre Lerwick avant la nuit. En fait, j'y arrive vers 19h15 soit presque 3h pour faire ce que j'ai parcouru en 1,5 jours !
A Lerwick, je dors au camping avec quand même quelques doutes sur mon départ pour la France vers le lendemain… mais ces doutes sont balayés toutes les cinq minutes, lorsqu'une averse fait son apparition. Au réveil, même topo: toujours autant de vent, de pluie mais qui, parfois, cesse 5 à 10 minutes. Je change mon billet de Ferry pour partir le soir même. J'en profite pour visiter à fond le musée des Shetlands et vers 17h, j'embarque !
La suite est simple: je retrouve ma voiture à Aberdeen, trace jusqu'à Dover en 12h et rentre en France vers 2h du matin.
J'ai longuement hésité avant d'écrire cet article, le temps pour moi de digérer cet échec. C'est donc l'heure du bilan et des enseignements. Voici ce que je retiens…
- Même bien préparé, on oublie toujours un paramètre essentiel. Dans mon cas, c'était la météo. Pourtant, j'ai plutôt l'habitude de ces éléments mauvais (je suis né dans le Pas-de-Calais). Plus précisément, le problème venait du niveau de vent. Je n'avais jamais enduré un vent de cette puissance en permanence. C'est ce qui m'a mis dedans.
- Les Shetlands, c'est beau mais ça se mérite ! Mon séjour, pourtant planifié pendant la belle saison, montre qu'il faut parfois en chier si on veut découvrir la Nature.
- Les Shetlands en voiture auraient été nettement plus accessibles (pas forcément financièrement mais…). En ne luttant pas contre le vent et surtout, en ne passant pas toute son énergie à avancer, le moral doit garder un haut niveau de confiance.
En positif:
- Mon équipement n'est pas en cause: tout a tenu ! C'est plus le fait de me déplacer à vélo qui m'a mis dedans. J'avais eu l'intuition de me charger un peu plus que d'habitude, notamment en prenant une paire de chaussure en plus. Mais cette fois, c'était payant. Lors de la première journée, j'ai testé cet équipement en gravissant la colline qui surplombe Lerwick. Au cours de l'ascension, le vent a redoublé et je suis arrivé au niveau des nuages. Je sentais bien que les conditions étaient difficiles mais, à pied, je n'avais aucun problème d'humidité ni de régulation de chaleur. Mes pieds étaient au sec, ainsi que mon sac et l'équipement qu'il abritait.
- Pendant quelque temps, j'ai eu un niveau de confiance et un vrai sentiment d'indestructibilité. C'était le dimanche, lors de la montée vers le Nord, après Lerwick. Sur cette route interminable, j'en ai vraiment bavé. Pourtant, j'avais bel et bien l'impression que malgré la pluie qui me piquait le visage, malgré le vent qui faisait claquer mes vêtements, ce n'était rien du tout: j'étais ailleurs. Ce moment a duré jusqu'à mon arrêt au böd et il est resté bien ancré dans mes souvenirs. Contrairement à mon expérience des Pyréenées, je n'ai jamais eu de crainte, de peur, d'angoisse et de stress. Ce qui m'a fait rentrer était la lassitude d'un voyage sans réel plaisir.
Quelle conclusion tirer ? Une seule: c'est à force de voyager dans des milieux difficiles qu'on apprend à s'adapter, tant sur la technique que sur le mental. Il faudra donc bien que je retourne explorer les Shetlands pour parfaire ces connaissances…