Deux livres oubliés en 2020🔗

Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/

#writing #livres #books

J'ai lu deux livres marquants en 2020 et j'ai complètement oublié de publier un article dessus. Donc dans ce document, je répare mon erreur. 4 ans, c'est long dans une vie et c'est tellement court à la fois…

La panthère des neiges de Sylvain Tesson

Bon, c'est le dernier Tesson du moment (quand j'avais écrit cet article en 2020). Il paraît que le livre a été un succès de librairie mais, comme je ne vais pas souvent dans ces librairies et que, la plupart du temps, ce qui est mis en avant me repousse naturellement, je n'ai pas du tout été influencé, ni par la critique, ni par l'engouement populaire.

Cela fait un bail que je lis cet auteur (j'ai probablement lu la moitié de ses écrits, au fur et à mesure du temps qui passe) et je trouve qu'il progresse bien dans le temps. Ce qui m'a attiré initialement chez Sylvain Tesson c'est le récit du voyage, le récit d'une aventure. A l'origine, c'est après être parti en randonnée au "long cours" (le long est celui de mon unité de temps) que j'ai été attiré par les gens qui racontent la leur. C'est une des constantes de Sylvain Tesson, ce qui fait que je continue à le lire.

Pour cet opus, j'ai trouvé ce que je trouve à l'ordinaire chez Tesson: le récit d'une aventure atypique, la mise en emphase de rencontres humaines ou animales qui sortent de l'ordinaire. Mais depuis son accident et sa réminiscence sans alcool, je le trouve plus modeste, plus philosophe; sans doute l'apanage de la maturité.

J'ai même vraiment apprécié la manière qu'il a de faire du léger avec du dramatique. Ça donne un ton plus abordable, moins solennel et cela permet l'expression d'une espèce de contraste entre aventure profonde, difficile, dans un pays fermé où tous les éléments sont contre vous et petites péripéties ou narrations légères qui viennent atténuer la difficulté.

J'ai adoré la petite réponse critique faîte au président de la fédération nationale de chasse de France. Ça fait toujours bizarre de voir quelqu'un traiter Sylvain Tesson de petit bobo parisien alors qu'il peut facilement prétendre, et sans rajout de ma part, au titre d'aventurier profond des temps modernes. Pour rappel, Sylvain Tesson part en randonnée pendant plusieurs mois, à l'étranger et en France, depuis une vingtaine d'années. le mot "randonnée" est un euphémisme pour décrire un périple, une route complexe, physiquement engageante, semées d'embûches qui pèse sur le corps et aussi sur le mental. On est loin de "l'épopée" du chasseur du week-end…

J'ai même adoré le sujet du livre. Partir loin, juste pour pouvoir contempler ce qui est aujourd'hui le plus rare et le plus précieux dans ce monde: une faune sauvage survivante de la "civilisation" humaine qui s'est rendue tellement maîtresse et possesseuse de la Nature au point de ne plus pouvoir se retenir de la détruire; comme un mécanisme induit que personne ne parvient plus à arrêter.

Un brin d'humour, une mise en perspective, des grandes phrases fabriquées avec des petits moments, à n'en pas douter, Sylvain Tesson vient de regagner avec brio son titre de poète du voyage aventure.

PS de 2024: Rentrons dans la polémique sans y rentrer vraiment. Il paraît que Sylvain Tesson est devenu un réac. Moi, je n'aime pas les réacs, mais dans ce que j'ai lu de Tesson, je n'ai jamais remarqué un seul truc réac. Peut-être dans les chemins noirs j'avais cru capter un certain regret vers la France d'avant, sublimée comme plus sauvage. Ce n'était sans doute pas vrai, car avant l'exode rural, la population dans les campagnes était vraiment importante: il y avait proportionnellement plus de gens dans les lieux qui maintenant sont un peu plus désertés, donc moins sauvages que maintenant. Mais, ça ne m'a jamais frappé plus que ça que je lisais un auteur réactionnaire. Et puis, ce n'est pas parce qu'on aime bien un auteur que ça fait de lui un être parfait à jamais, loin de là.

"Croire aux fauves" de Nastassja Martin

C'est après avoir vu à la télé (sans rire) Nastassja Martin dans une interview sur Arte.tv (28 minutes) (il semble que la vidéo soit indisponible en 2024, mais j'ai retrouvé une espèce de retranscription audio) que je me suis dit qu'il fallait absolument que je me procure son ouvrage intitulé "Croire aux fauves".

Pour le pitch, sachez que Nastassja Martin est anthropologue à l'EHESS. Dans son parcours chez différents peuples nomades du grand Nord (Alaska et Kamchatka), elle a la particularité d'avoir fait front à une attaque d'ours brun et d'y avoir survécu, évènement qui marque toute personne à jamais. Dans cette rencontre homme-animale, Nastassja Martin a laissé une partie de son visage même après une chirurgie reconstructive plutôt efficace. Dans l'interview, Nastassja Martin fait face à la caméra sans aucune gêne, sans aucun recul ou volonté de masquer ces marques physiques et j'ai trouvé que ça lui donnait l'expression d'un visage empreint d'une puissance et d'une abnégation sans limites. Cela lui allait finalement probablement à mieux que personne. Bien évidemment, cette histoire, cette rencontre qui laisse des traces reste, à mon avis personnel donc orienté, quelque-chose qui sort de l'ordinaire. Bien entendu, tout ce qui sort de l'ordinaire a le don de m'intriguer et de réveiller mon intérêt. Quand j'ai compris que cette rencontre ours/homme et sa suite avait formé un récit, je me suis immédiatement dit qu'il fallait que je me l'approprie. C'est ce que j'ai fait assez rapidement d'ailleurs.

Et au final, qu'ai-je trouvé dans ce livre ? Et bien tout simplement, ce que je croyais y trouver. Parfois, on sent les choses en avance, on sait ce qu'un livre va raconter. Sans doute un moment de synchronisation à distance avec le cerveau de l'auteur (enfin, c'est ce que moi j'y vois), le fait d'être en phase, être d'accord, ce qui est assez rare pour être souligné.

D'un point de vue stylistique, l'histoire se raconte de manière assez simple au départ avant de plonger vers une sphère plus philosophique, dans un objectif (enfin, je le suppose) d'une reconstruction, d'un nouveau départ dans la vie avec un basculement de point de vue à la clef.

Pour résumer, Nastassja Martin revient sur sa rencontre avec un ours, rencontre quasiment mortelle qui la fait basculer dans un autre monde, qui vient secouer son existence. Elle y raconte, dans la première partie du livre, la phase de secours où l'extraction et les premiers soins lui sont prodigués. Dans un deuxième temps, vient la période de reconstruction, à la fois physique, personnelle et spirituelle qui prend du temps et semble semée d'embûches, tant sur le plan médical que psychologique. Dans ces moments, j'ai trouvé que le style de l'auteur était assez fluide et qu'on avait parfaitement l'impression de vivre sa situation à l'instant présent. On avait comme la possibilité de ressentir ce qu'elle pouvait subir ou penser…

Puis vient la dernière partie de l'ouvrage, plus profonde, plus raisonnée, plus en recherche à des réponses, qui m'est apparue comme une espèce de décollage vers un autre monde. Pour pallier à ses problèmes de reconstruction, Nastassja Martin repart là où tout à commencé, chez les Évènes. Après moult réflexions, réussites, échecs, elle semble parvenir à dépasser ses problèmes, à reprendre consistance sous la forme d'un nouvel être: la femme qui s'est battue avec l'ours et qui est vivante; transformée à jamais mais bien réelle. Dans cette partie, j'ai eu vraiment l'impression de voir ce que signifiait être une femme ourse pour les Évènes. J'ai aimé cette conclusion simple mais tellement évidente, en forme de conseil pour que l'homme de la civilisation occidentale puisse enfin porter un regard sans haine sur le monde qui l'entoure.

Avec le recul, après avoir effectué la lecture complète de "Croire aux fauves", je reste sur ma faim, mais dans un sens positif. Les 150 pages ont filé vraiment assez vite, sauf sur la fin où le sens profond de la réflexion fait qu'on doit accorder plus de temps à l'analyse des phrases et du sens (ou plutôt des sens) qu'on peut leur accorder. Sans aucune difficulté ni lourdeur ajoutée, Nastassja Martin aurait pu donner plus de détails, prendre encore plus de temps pour approfondir et expliquer ses points de vue, les illustrations de sa pensée. Après, lorsqu'on écrit, il faut savoir se fixer des limites. Dans tous les cas le style est vraiment fluide, la progression vers la difficulté du propos bien accompagnée et plutôt linéaire. L'ensemble donne l'impression d'une réelle analyse de soi. J'ai bien aimé capter ce moment où, perdue dans un tourbillon d'interrogations, on sent qu'elle reprend force, qu'elle parvient à trouver le moyen de faire face, en rejetant tout ce qui avait été élaboré auparavant par son cerveau. A ce moment, on prend conscience que, définitivement, l'Ours aura vraiment transformé à jamais cet être sensible.

J'aurais également aimé en savoir plus sur les Évènes, décrits assez succinctement dans le livre. Mais je n'en veux pas du tout à l'auteure. C'est juste que le récit ma donné l'envie de connaître davantage ce peuple avec ses rites, ses traditions et la manière qu'il a de gérer l'occidentalisation. Mais je conçois que le livre n'a pas une portée scientifique et que ce n'était pas forcément le moment ni l'objectif de décrire ces gens en détails. Pour ça, je crois que Nastassja Martin a déjà écrit quelque-chose; peut-être faut il relire les études des anthropologues sur ce sujet.

Ce qui me restera de cet ouvrage vraiment intéressant c'est cette image de force tranquille, d'assurance qui se dégage de l'auteure. En complétant mes premières impressions suite à l'interview, "Croire aux fauves" conforte mon idée première que les êtres humains ne sont pas uniquement l'expression de leur moi propre qu'ils peuvent façonner selon leur volonté mais plus la fusion entre cette volonté et ce que la Nature leur laisse comme place. Enfin, c'est ce que j'aime croire !