Mon année de SF avec Philip K. Dick🔗
Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/
Introduction
En 2023, je me suis lancé un petit défi: lire tout Philip K. Dick. D'une manière générale, j'aime bien faire le tour des choses. J'ai déjà fait des intégrales musicales, et je fais aussi des intégrales de cinéma, celles où on prend un réalisateur, un scénariste ou un acteur et on regarde toute sa filmographie. Je sais, ça à l'air pénible pour certains et pourtant, c'est la seule méthode que j'ai trouvée pour éprouver un artiste à l'aune de sa carrière.
Je lis de la SF depuis que je suis enfant. C'est un genre littéraire qui m'a toujours fasciné. D'abord parce que le côté scientifique des choses, sa logique qui prévaut, même avec des hypothèses farfelues ou impossibles à établir dans la vraie vie a un côté rassurant. Ensuite, c'est parce que c'est un support pour une espèce de transfiguration de l'imagination. Presque tout est permis, il n'y a pratiquement aucune limite. Et puis l'intérêt de la SF, c'est de nous faire rêver, de nous sortir des limites de notre vie humaine, un peu étriquée par les lois de la physique et notre achèvement technologique, si perfectible.
Je me souviens avoir lu les robots d'Asimov et avoir eu un sentiment de comprendre un point essentiel de la vie en général quand j'ai découvert que les lois de la robotique, aussi parfaites soient elles au départ, admettait des amendements indispensables.
Depuis tout ce temps, j'en ai lu des livres de SF, d'Asimov, en passant par Bradbury, Van Vogt, Pierre Boule, Barjavel, Frank Herbert, Huxley, Crichton, etc. Je pense que je ne peux plius citer tous les auteurs que j'ai lu de mémoire maintenant et comme je n'ai pas fait de liste…
Pourtant, il y a un auteur célèbre de SF dont j'avais toujours repoussé la lecture. Cet auteur est Philip K. Dick (PKD dans cet article), dont le nom n'est plus à répéter aux lettrés de la SF. C'est probablement l'auteur le plus majeur de la SF du 20ème siècle. Je ne vais pas revenir sur sa carrière, prolifique s'il en est (Wikipedia fait ça mieux que moi). J'ai toujours eu de la réticence à lire PKD parce que j'avais de mauvais préjugés sur lui. En effet, il est décrit comme, ce que j'avais retenu, un auteur avec une maladie mentale, abusant de certaines substances psychotropiques et avec un comportement très borderline. Une espèce de Bukowski de la SF. C'est ce que j'avais retenu.
Ce qui m'a décidé à essayer de lire PKD
Pourtant, j'ai vu quelques films majeurs de la SF du 20ème siècle, tirés des nouvelles et romans de PKD comme le plus connu Blade Runner (1982) et également Total Recall et le sublime Minority Report. Je savais aussi que ces scénarios avaient été établis sur la base de nouvelles pas forcément très longues. Et pourtant, j'avais toujours cette barrière morale à la con qui me disait que j'allais perdre mon temps à lire PKD, que j'allais être déçu ou dérangé.
Et puis finalement, je me suis mis à lire quelques nouvelles connues, comme Ubik et le maître du haut chateau. Et j'ai trouvé ça vraiment bien: intéressant, bien écrit, avec un scénario travaillé et pas du tout déglingué. Ça m'a donné l'envie d'aller plus loin, en lisant des oeuvres plus courtes comme "Les pantins cosmiques" ou encore "Glissement de temps sur Mars".
Et puis au final, comme je trouvais ça bien, je suis tombé sur une archive illégale, mais bien pratique, de l'intégralité de PKD, traduite en français, au format ePub. Muni de cette précieuse archive, je me suis dit que j'allais essayer de tout lire… …jusqu'à ce que je rencontre trois livres merdiques (dans toute la bibliographie) qui auraient confirmé mon préjugé. Mais, ce n'est jamais arrivé alors finalement en 2023, j'ai lu tout Philip K. Dick, comme ça, sans le faire exprès, simplement parce que je n'avais que ça à lire.
Et j'ai tout simplement adoré ! Et mes préjugés se sont trouvés complètement balayés. PKD était effectivement un être torturé, dérangé, borderline, abusif dans les médocs, le LSD et qui s'est fait volontairement interné. Mais, il ne l'a pas toujours été en permanence: il a eu des phases simples, des phases de travail où il a produit des oeuvres vraiment innovantes et délicieuses à lire.
A propos de la bibliographie de PKD
Mais faisons un peu le point sur ses productions, parce que ça vaut le coup de s'y pencher sérieusement. D'abord on peut dire que PKD s'est révélé très prolifique avec 54 romans et recueils de nouvelles produits en 30 ans de carrière (PKD est mort à 52 ans d'un AVC), c'est plus d'un roman par an ! C'est encore plus impressionnant quand on sait qu'il a eu des périodes sans écriture.
Après, on peut tempérer en observant que finalement, les romans de PKD sont assez courts, entre 150 et 250 pages en moyenne, même si certains montent plus haut.
Chez PKD on a une approche volumétrique certaine. Et pourtant on peut aussi analyser une certaine forme de peaufinage, de rassemblement d'idées. En effet, j'ai lu d'abord tous les romans et j'ai terminé par les recueils de nouvelles. Avec cette masse de romans ingurgités en peu de temps, je ne pouvais pas retenir tous les détails de toutes les histoires. Quand je suis arrivé aux nouvelles, de très nombreuses fois, j'ai eu l'impression d'avoir déjà lu l'histoire. Et en vérifiant, je me suis rendu compte que généralement PKD commençait par rédiger une idée dans une nouvelle (au format court donc) et que quelques années plus tard, il en développait un roman, plus complet et plus détaillé, avec parfois des variantes sur la fin. J'ai bien aimé cette approche de peaufinage et ça m'a permis d'aller plus vite pour lire toute l'oeuvre de l'auteur.
Au final, Philip K. Dick a le don de sortir une idée originale de science-fiction, comme par exemple, les androïdes qui ne savent pas qu'ils sont androïdes et de la réutiliser dans plusieurs occurences de romans. C'est le thème de Blade Runner, mais on le retrouve également ailleurs, saupoudré, sans forcément en faire le coeur de l'histoire. On retrouve d'autres hypothèses de départ, comme celle du maître du haut chateau sur un monde parallèle, comme par exemple dans Simulacres, où on a une histoire de monde après la troisième guerre mondiale où le système politique ressemble à celui des nazis.
Et puis, PKD a aussi réalisé un roman pour les enfants (Nick et le Glimmung), lui même développé dans le Guérisseur de Cathédrale, pour les adultes.
Enfin, sachez que Philip K. Dick a aussi écrit des romans de non science-fiction (des romans de fiction tout court), une petite dizaine. Je vous invite à les lire, ils sont globalement très bons.
Ce que j'ai détesté chez PKD
Soyons clair, un auteur ne peut être parfait. Parfois, il y a des choses qui ne passent pas. Pour moi, c'était la description interminable du monde sous LSD dans la trilogie de Valis (je cite de mémoire). Au début, on essaye de s'accrocher à un certain sens logique et puis l'histoire délire trop pour que ce soit lisible pour mon cerveau. Et sinon, ces passages sont souvent longuets à lire.
C'est un peu ce que j'ai ressenti en lisant a Scanner Darkly. Finalement les histoires où il y a des psychotropes ne se passent généralement pas bien chez PKD. C'est presque toujours une constante, à l'exception de quelques scènes où le protagoniste de l'histoire se demande s'il a ingurgité ou pas une substance et le doute plane pendant quelques chapitres. Là, c'est thriller.
Ce que j'ai adoré chez PKD
Vraiment ce qui m'a frappé chez Dick , c'est la clairvoyance dans une histoire qui pourrait être vraie avec peu de moyens intellectuels, en partant d'une idée simple. Par exemple dans le maître du haut chateau, on a un constat de départ simple: et si l'axe avait gagné contre les alliés, que ce serait-il passé ? Et Dick d'en faire une histoire complexe de mondes parallèles, à partir d'une idée simple, creusée, poursuivie dans un grand nombre de pages, pour voir ce que l'hypothèse de départ peut donner, une fois qu'elle est appliquée. J'aime beaucoup ça.
On le retrouve aussi dans d'autres nouvelles courtes comme Le rapport minoritaire. On part d'un thème simple: la precognition, le fait que des gens ont un don de clairvoyance dans l'avenir ou dans la tête des autres gens en temps réel et on développe ce sujet pour en extirper les contradictions, les limites, les risques. Cela donne de belles images, de belles histoires.
J'ai aussi apprécié particulièrement les livres autobiographiques de PKD sur PKD, comme on le trouve dans "The Dark Haired Girl". Là, on a l'auteur qui se livre quasiment totalement même s'il s'en défend. On retrouve un Philip K. Dick finalement assez vulnérable. Lui qui est à n'en plus devoir le prouver un auteur accompli, prolifique, le voir pris dans une forme de doute perpétuel par rapport à son talent, le voir tant hésiter et se comporter si naïvement dans sa relation avec les femmes, c'est touchant. On a l'impression d'avoir un entretien personnel avec une personne qui se livre totalement. Et ça ne m'a pas dérangé. J'en ai retenu que PKD ne devait pas si être dérangé que ça dans la vie, peut-être à peine plus que moi.
J'ai été très surpris de lire la transmigration de Tiomthy Archer. J'avoue que je ne m'y attendais pas de la part de Philip K. Dick. C'est une histoire vraiment très originale, inspirée par des faits à peu près réels, dans tous les cas par un personnage réel et d'ailleurs probablement singulier dans la vraie vie. J'ai bien aimé lire ce développement.
Si je devais élire le meilleur romand de SF de PKD, ce serait sans doute les clans de la lune alphane. J'avoue que le premier chapitre était long à lire, avec l'énumération des 7 clans, difficiles à retenir dans leur classe respective. Mais l'histoire a résonné en moi: un type que sa femme répudie, qui chute dans la société et qui se retrouve avec des aventures spatiales sur les bras chez les fous. Et pour autant, l'histoire est très sympathique, un peu délirante, mais totalement emblématique de PKD. On y retrouve nombre de ses thèmes de prédilection et on le savoure assez facilement, avec une chute simple.
Mes conclusions
Après avoir terminé de lire tout Philip K. Dick, je me sens apaisé. J'ai l'impression de l'avoir eu pour moi tout seul pendant presqu'un an entier (je n'ai lu que lui en 2023). Avec cette masse de lecture, j'ai d'abord pris plaisir à découvrir de la bonne SF, de la science-fiction d'un très bon niveau. Celle qui déstabilise par ses hypothèses de départ ou par la complexité du monde dans lequel on est projeté. Celle qui nous manipule l'esprit en nous enfermant dans un semblant de normalité qui finit par dériver, imperceptiblement, vers une surprise complète, illogique, qui nous fait basculer dans une espèce de folie.
J'ai aussi adoré les romans non SF de Dick. Ils étaient finalement assez doux, très faciles à aborder et ils décrivaient un monde souvent simple, des personnages complexes, qui parfois débordent eux aussi, parfois vivent tout simplement. J'y ai aussi retrouvé le reflet d'une époque et d'une géographie, celle des années 50-60 en Californie. Un peu de ce fétiche du mythe de l'Amérique douée, dénuée d'à prioris qui vise à une certaine forme de bonheur. Celle qu'on est un peu tous obligé d'aimer.
Voilà, ce que retiens de PKD, c'est aussi cette richesse de production. Des genres très différents, des choses pour les enfants, pour les adultes, de la non fiction, des thèmes qui reviennent de manière récurrente mais différents dans leur expression, des oeuvres fabuleuses, des écrits longs, puis courts, des nouvelles qui donnent des scénarios de films extraordinaires.
Ma conclusion, c'est de me dire que finalement, aucun autre auteur de SF ne m'a fait vivre la même richesse. Et ma conclusion simple, c'est que oui, définitivement, Philip K. Dick est tout simplement mon auteur de SF préféré.