La naissance, la mort, le lien...🔗
Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/

Cela faisait quelques années que je m'étais mis comme projet d'aller voir sur place le lieu de naissance de mon grand-père paternel. Pour comprendre pourquoi là et pas ailleurs; pour essayer de mesurer ce qu'est un lieu de naissance sur un faire-part de décès au milieu de toute une vie; pour refaire l'histoire des gens qui sont partis avant nous; pour essayer de se remettre dans les traces et les pas de ceux qui nous ont précédés et essayer d'incarner leur perspective de l'époque.
Parce que oui, mon grand-père paternel est né dans l'Eure-et-Loir, mais il a toujours vécu dans le Pas-de-Calais (et il y est mort, il y a maintenant 30 ans). J'ai toujours été intrigué par ce lieu de naissance en dehors des cases, surtout qu'à l'époque, c'est-à-dire il y a près de 100 ans, les gens n'avaient pas du tout la même mobilité qu'aujourd'hui. Je me suis dit qu'il y avait matière à s'interroger sur ce point. Qu'est-ce-qui a porté mes arrières-grand-parents à aller là-bas en particulier et pourquoi mon grand-père y est né, sans jamais y retourner ?
Pour répondre à cette taraudante question, j'ai pris ça comme une quête plutôt que comme une enquête. Et comme toute quête, il faut un but, un moyen, de l'aventure, du défi, du challenge, de l'affrontement, du courage et de la résistance face à l'adversité. Sinon, ce n'est pas une quête, c'est une simple vérification, un déplacement d'un point A à un point B, ce qui, à l'aune d'une vie reste profondément barbant et utilitaire.
Voici donc quelle fût la quête que j'ai imaginée dans un recoin de ma tête, mijotée pendant de nombreuses années. Je me suis dit que j'allais partir de mon lieu de vie et aller voir la commune rurale de naissance de mon grand-père paternel, à Saint-Jean de Rebervilliers en utilisant un vélo. Pourquoi le vélo ? Parce qu'à l'aune de mon expérience, c'est un des seuls moyens de transport qui permet de vraiment ressentir les lieux: de mesurer le relief, de respirer les odeurs, d'embrasser la température extérieure, de prendre le temps de voir un paysage, le tout sans y passer non plus trop d'heures. Un mode de voyage compatible avec la découverte, à la fois suffisamment lent pour laisser la possibilité de découvrir beaucoup, mais aussi suffisamment rapide pour ne pas rentrer trop dans les détails et pouvoir avancer, faire des kilomètres.
Pour cette quête je ne pouvais pas mieux trouver comme vélo que celui que mon père avait acheté quelques années avant sa mort. C'est un Talbot du début des années 80 avec des manettes au cadre, un plateau Custom double, une roue-libre à six pignons et une livrée bleu azur qui dénote. Je me suis pris une trentaine d'heures pour le restaurer intégralement. Tout y est passé, des roulements de direction (enfin, un jeu de cuvettes et billes plus précisément) jusqu'à la réfection complète des dérailleurs, mais aussi de la roue-libre entièrement démontée et réajustée.
Je me suis entraîné pendant près de 2 mois, à découvrir mon futur trajet, à coup de 150 kilomètres de vélo tous les dimanches. Ce fût très formateur, car pratiquement à chaque sortie, j'ai eu droit à un incident technique: une cocotte qui se barre parce que pas assez serrée, un boîtier de pédalier qui prend du jeu, parce que pas assez serré, une crevaison avec un pneu neuf, mais pas adapté au terrain, un dérailleur avant qui casse son parallélogramme parce que le sertissage à sauté, un câble de dérailleur qui se détend parce que pas assez serré dans son logement. Au final, je retiens qu'il faut toujours vérifier deux fois le serrage des vis et veiller à faire des tests en amont pour fiabiliser le vélo.
Jusqu'à ce que je parte pour de bon, le samedi 19/10/2025 et que je revienne sur mon lieu de vie, deux jours plus tard, dans l'autre sens. Voici mon parcours sur près de 225km de routes de campagne perdues entre le Maine-et-Loire, l'Indre-et-Loire, la Sarthe et l'Eure-et-Loir:
Le parcours aller c'est bien déroulé, même si j'ai dû partir dans la nuit. Pour le retour (car oui, la quête comprenait aussi le retour en vélo), ce fut bien plus dur. J'ai dû faire face à une adversité que je n'avais pas encore rencontrée en vélo. Laissez-moi vous en faire l'inventaire:
- J'ai dû changer ma route initiale (parce que trop dangereuse à mon goût): ça m'a obligé à partir encore plus tôt, dans la nuit noire de la campagne sans éclairage public.
- Tout le long du trajet, j'ai affronté un vent de face venant du sud-ouest (ma direction globale)de près de 20km/h de moyenne (plus en rafale). Même à plat, je devais me casser en deux pour limiter ma surface de frottement pour avancer. De tout le trajet, je n'ai quasiment jamais utilisé le plus petit pignon alors que j'ai bien dû le mobiliser sur 1/4 de la route à l'aller.
- J'ai gobé quelques insectes involontairement: c'est la combinaison du vent de face et de la bouche ouverte pour respirer parce que plus d'effort (notamment dû au vent de face).
- J'ai eu une crevaison vers 8h45, le jour en train de se lever. Heureusement, j'étais équipé et je n'ai perdu que 20 minutes.
- J'ai eu plusieurs averses majeures de 20 minutes, celles où la pluie tombe à l'horizontal et où on ne voit plus grand chose alors que le chemin se transforme en torrent. J'étais complètement rincé et mon vélo plein de boue.
- J'ai eu une hypoglycémie qui ne s'est résorbée qu'au bout de 2h30-3h. C'était sans doute le plus dur.
- A 400m de chez moi, une sangle qui me permet d'attacher mon sac sur le porte-bagage s'est littéralement brisée en deux. Pour information, cette sangle est une chambre à air (donc normalement, c'est increvable).
Je crois que c'est probablement le plus gros effort physique de toute ma vie: 13h de vélo sous forme de lutte quasi permanente. Malgré tout, je suis bien content d'avoir tenu le choc et d'avoir résisté, même si j'ai failli plusieurs fois m'arrêter pour terminer en train.
Au final, qu'est-ce-qu'il ressort de tout ça ? A quoi cette quête a-t-elle servi ? Est-ce-que j'ai trouvé la réponse à mes questions du départ ? Et bien, je dois dire que finalement, dans ce voyage, j'ai plus appris et compris de choses sur mes arrières-grands-parents que sur mon grand-père. Car effectivement, c'étaient bien eux qui étaient à la manœuvre et moins mon grand-père qui était finalement un nouveau-né et un jeune enfant.
J'ai compris que mon arrière-grand-père, né dans le Pas-de-Calais et garde forestier domanial (donc des services de l’État avant la création de l'ONF) de son état avait dû prendre un poste au sein de la forêt de Chateauneuf-en-Thymerais dans les années 20 (1920 bien sûr). Il y a emmené sa femme pour se loger dans la maison forestière située dans le village de Saint-Jean de Rebervilliers et c'est là qu'ils ont décidé d'avoir des enfants (2 sont nés dans cette maison, bien d'autres après).
Pourquoi prendre ce poste ? Je n'en sais rien, car le reste de ses affectations ont été dans l'Aisne et dans le Pas-de-Calais, avant de ne plus bouger de ce dernier point de chute. Et puis, au sein de ces années 1920, partir de son lieu de naissance pour aller travailler deux à trois cent kilomètres plus loin ce n'était pas anodin: ça ne se résumait pas à un petit voyage en voiture. Cela ressemblait plus à une épopée. Peut-être la fougue de la jeunesse, peut-être une simple affectation éloignée comme premier poste dans l'administration forestière du début du siècle ? Qui saura jamais me dire ?
La maison forestière n'existe plus, disons qu'à son emplacement, on trouve une maison refabriquée. Je ne verrais donc pas l'aspect de la maison qu'à habité mon aïeul. Pour autant, je peux m'en faire une certaine idée car les maisons forestières étaient vraisemblablement fortement basées sur les mêmes plans, peu importe la région, plans produits et approuvés par l'autorité forestière, autrefois beaucoup plus puissante et rayonnante que maintenant.
Je suis allé faire un tour à l'église et son cimetière, juste pour vérifier si des gens portaient mon nom ou un nom que j'aurais reconnu. Mais non, rien de tout ça. Je suis tombé sur un type de tombes que je n'avais jamais rencontrées: les tombes de la loi du 4 juillet 1873.
J'ai aimé retrouver ces lieux, ce village simple qui n'a finalement pas tellement changé durant le siècle passé: les rues n'ont pas été réaménagées et il y a peu de nouvelles constructions. En me baladant, je me suis dit que mes ancêtres avaient vécu ici et que je plaçais mes pas là où ils les avaient posés, il y a pratiquement une centaine d'années. Je pense qu'à l'époque, le village devait être assez serein comparativement à aujourd'hui où une route assez passante passe à proximité du village. Cette route existait en 1920, mais elle n'était pas asphaltée et j'imagine qu'il y avait beaucoup moins de trafic. Tellement peu de bruit et une grande commodité que c'était un emplacement intéressant pour y construire un logement de fonction.
En visitant la forêt domaniale de Chateauneuf-en-Thymerais, je me suis fait la remarque que tous les arbres auxquels mon arrière-grand-père avait contribué à la croissance dans son métier étaient tous abattus, car aucun arbre n'avait la circonférence requise pour aborder le siècle d'âge. Une forêt domaniale est une forêt qui sert à produire du bois avant tout. J'en ai bien la preuve. Je pense que j'aurais pu trouver des arbres de l'époque si j'avais eu plus de temps pour les chercher. Mais ce n'était pas intégrable dans mon calendrier et je n'étais pas venu pour ça.
Voilà, dans ce tumulte de faux souvenirs par réminiscence imaginé d'un passé que je n'ai jamais vécu, j'ai bien aimé cette petite parenthèse hors du temps. La combiner avec un voyage physiquement engageant, mais aussi agréable à dérouler, sur un véhicule émotionnellement chargé était sans nul doute la combinaison qui a su sublimer l'évènement.
Pour terminer et pour rester dans l'esprit de combinaison, je replace ici la photo qui résume cette quête:

Dans cette photo il y a tout ce que le titre indique:
- La naissance: Saint-Jean de Rebervilliers c'est le lieu de naissance de mon grand-père paternel.
- La mort: mon grand-père est mort, mon père aussi.
- Le lien: c'est le vélo de mon père que moi, le petit-fils et au final l'arrière-petit-fils, j'ai pris le temps de terminer pour organiser cette aventure qui réunit tout le monde en un seul et même lieu, à travers tous ces symboles.