The Grapes of Wrath🔗

Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/

#books #livres

Introduction

J'ai enfin terminé un livre que je voulais lire depuis longtemps, probablement depuis que j'en ai entendu parlé quand j'étais enfant. En ce début de l'année 2022, j'ai enfin lu: Les raisins de la colère de John Steinbeck ! Mais comme je suis plus âgé et plus compétent en langue anglaise, je l'ai lu dans sa langue d'écriture, la langue de l'auteur et ça m'a beaucoup plu.

Je ne vais pas en faire la fiche de lecture, j'ai passé l'âge et puis ce genre d'exercice assez scolaire ne m'intéresse plus. Au contraire, ce qui va me faire prendre la plume électronique (on appelle ça aussi un clavier), c'est tout ce qui résonne en moi après la lecture du livre et que je souhaite conserver par écrit. Je n'aborderai donc que mon point de vue, que ce qui m'a frappé et que je souhaite raconter. Ce n'est sans doute pas du tout objectif mais çà, je n'en ai cure; c'est aussi ça la force d'une approche non scolaire.

D'abord sur mon préjugé de Steinbeck, je savais que c'était une figure de la littérature américaine du XXème siècle (le siècle passé mais celui aussi où je suis né). Pas comme Jack London mais pas si loin finalement, sans doute plus académique et moins controversé.

J'avais déjà lu quelques-uns de ses ouvrages: Tortilla Flat en traduction française il y a quelques années que j'avais plutôt bien aimé et puis The Pearl que j'avais lu en étant adolescent (et qui ne m'a pas laissé un souvenir impérissable visiblement puisque je ne me souviens absolument plus de l'histoire). J'avais vu aussi le film pas si mal de "Of mice and Men", sorti en 1992, de et avec Gary Sinise (lieutenant Dan), John Malkovitch et aussi la belle Sherilyn Fenn (enfin, moi j'ai vu Twin Peaks alors elle est forcément toujours belle dans mon esprit). J'avais aussi vu le classique "East of Eden" d'Elia Kazan, sorti en 1955, avec l'éternel beau gosse James Dean. Donc j'avais un a priori assez positif sur Steinbeck, sans tourner au culte, en bon français pédant que je reste.

Mais, je dois dire qu'après "The Grapes of Wrath", je suis tout retourné et je comprends pourquoi, malgré une controverse réelle à l'époque, Steinbeck a vraiment mérité son prix Pullitzer sur ce travail. Presque une claque ou, dans tous les cas, une révélation.

Sans plus attendre, voyons ce qui m'a marqué dans ce livre. Ce sera décousu et il y aura du spoil mais, c'est comme ça: j'écris pour moi, pas pour être lu.

C'est immersif

Un des premiers éléments qui m'a frappé reste la manière que les protagonistes de l'histoire ont de s'exprimer. Pour faire croire qu'on les entends vraiment, Steinbeck utilise un anglais du peuple, vraisemblablement du fin fond de l'Oklahoma et retranscrit phonétiquement leur accent dans les mots écrits.

Ainsi, le prénom "Rose of Sharon" (oui, c'est un prénom) donne "Rosacharn"" dans le texte, qu'on peut lire tel quel et comprendre que c'est Rose of Sharon mais dit très vite et en mâchant une partie des consonnes. D'ailleurs, en argotique américain, on voit souvent le texte "'a" remplacer le mot "of". Ainsi, il est courant de dire vulgairement, même encore aujourd'hui "You piece'a shit" qui correspond au plus élaboré (mais néanmoins toujours vulgaire) "You are a piece of shit".

Dans un premier temps, cette forme reste assez dure à lire. Parfois, on bute sur des mots qui ne disent rien au Français local, mots d'autant plus difficiles à trouver que, de la manière dont ils sont écrits, ils sont absents du dictionnaire, y compris des dictionnaires anglais. On peut commencer avec somepin au lieu de something. Après, beaucoup de voyelles terminales sont simplement remplacées par "'". C'est difficile à lire. Mais le plus hard c'est de lire idear au lieu de idea ou encore purty à la place de pretty. Le plus complexe que j'ai eu c'est 'tarded. Au début, j'essayais de traduire par retarded mais ça ne collait jamais vraiment. Au bout de quelques centaines de pages, j'ai compris que ça signifiait tout simplement "tired". Pas si simple hein !

Pour autant, avec l'usage, on finit par s'habituer: au moins 4/5 du livre sont composés de récits où se sont les protagonistes qui s'expriment directement. On a donc tout à fat l'occasion de se mettre à ce nouveau langage et après une centaine de pages, le cerveau finit par admettre et accepter.

A ce moment, on se rend compte à quel point c'est immersif. On a l'impression d'être au milieu des Joads, en train de les écouter directement, dans leur dialecte qu'on a finit par déchiffrer et épouser. On a l'impression d'y être, dans une espèce de familiarité qui rapproche.

Au delà du coup de génie littéraire, je crois que Steinbeck a utilisé cette forme écrite pour bien montrer que, même citoyens américains autant que les californiens, le fait d'avoir un accent a contribué fortement à l'ostracisation des Okies (c'est salauds d'étrangers d'Okies comme on dirait sans doute de nos jours). C'est à peu près prouvé historiquement aujourd'hui et c'est ça qui m'a également choqué: des américains qui ostracisent et exploitent d'autres américains tout ce qu'il y a de plus patriotes, simplement parce qu'ils ont un accent un poil différent. Qu'est-ce-que c'est que cette excuse à deux francs ?

C'est bien construit

J'ai trouvé que le livre était plutôt bien construit en suivant une trame particulière et appréciable. Steinbeck alterne entre des chapitres plus courts qui décrivent la situation dans sa globalité, suivant une narration de l'auteur et des chapitres plus longs, qui racontent l'histoire du point de vue des Joads. Cette alternance permet de placer quelques notes de contexte et quelques piques politiques mais sans réelle propagande, le plus souvent basé sur des évidences de situation. On est loin d'un militantisme acharné.

L'histoire des Joads, bien que tragique et dramatique, reste une espèce d'épopée pré-moderne. Ici le cheval est remplacé par la voiture mais c'est bien d'une aventure qu'il s'agit. Car il leur arrive quand même pas mal de choses aux Joads, sur la route. On a beau être dans une voiture sur une route tracée et entretenue, il y a plein d'imprévus et de difficultés.

Je me suis amusé à suivre les noms des villes traversées sur une carte en ligne et c'est très intéressant, je vous invite à faire la même chose en lisant le livre pour voir combien Steinbeck est précis. D'abord, il n'y a quasiment aucun nom de ville ou de lieux-dit mentionné qui n'existe pas réellement. Ensuite, le parcours des Joads suit scrupuleusement la route 66, dans l'ordre des noms. Et puis, le paysage correspond également tout à fait ainsi que le pente, lorsqu'elle est mentionnée.

Cette précision et ce respect de la géographie participent pleinement à la construction de l'oeuvre pour la rendre plus crédible et c'est tout à l'honneur de l'auteur d'avoir investi autant de temps de recherche sur ce sujet.

C'est réaliste

La réparation du coussinet de palier de vilebrequin de l'Hudson Super Six) (probablement un modèle de première génération, les Joads n'ont pas acheté une bagnole neuve pour faire le voyage) est très bien détaillée. De mon point de vue de mécano automobile très amateur, le récit est assez proche du vrai processus qui consiste à faire tomber le carter moteur (après avoir fait la vidange d'huile) puis démonter le palier de vilebrequin en ayant trouvé quel cylindre posait problème puis trouver et remettre un coussinet et faire le serrage comme il faut (au couple normalement). Puis remonter en faisant l'inverse. Écrit comme ça, ça à l'air simple mais si vous deviez avoir ce problème sur votre voiture en 2022, vous hallucineriez sur le montant des réparations proposées par votre garagiste. Non, ce n'est pas vraiment simple à faire, surtout sans les bons outils.

Certes, les voitures de cette époque étaient un poil plus accessibles (pas de moteur foutu je ne sais comment où il faut démonter la calandre, une partie de l'habitacle et tout le groupe de refroidissement avant d'accéder aux vis qui permettent de libérer le carter moteur), même si moins durables et plus propices aux pannes. L'intervention des Joads reste quand même un bon exemple de réparation faite avec les moyens du bord mais à un niveau suffisant pour reprendre la route.

De mon point de vue, ça prouve deux choses:

A mon avis, dans ce chapitre, Steinbeck a sans doute voulu souligner ces points pour montrer aux érudits que les Joads, du moins la jeune génération, n'a rien à voir avec des gens qui ne sont plus de leur temps (comme on dit malheureusement) et qu'ils ne méritent pas ce destin si funeste et difficile auquel ils tentent de faire face comme ils peuvent.

Mais, pour terminer ce sujet, je me suis toujours demandé pourquoi les deux frères n'ont jamais tenté leur chance comme mécano dans des garages. A mon avis, dans l'automobile USA des années 30, ce sont des profils qui devaient être plutôt bien recherchés, surtout si on peut les exploiter en les payant pas cher mais sans doute plus cher que de ramasser des fruits et des légumes. Peut-être que ça aurait pu changer la donne des Joads.

C'est historique

Comme je viens de l'expliquer deux fois, The Grapes of Wrath est précis, proche du réel en respectant la géographie, la mécanique automobile. Mais Steinbeck respecte aussi l'histoire et son contexte politique de l'époque.

C'est assez frappant lors des passages sur le camp de Weedpatch. C'est un camp qui a réellement existé et qui existe toujours du point de vue musée. Il a été mis en place par le gouvernement fédéral comme un début de réponse au problème des nombreux réfugiés du Dust Bowl. N'oublions pas qu'à l'époque, c'est Roosevelt aux commandes et qu'il a une politique interventionniste (le New Deal ça s'appelle).

Donc, la mise en place du camp pour sauver les gens d'une catastrophe naturelle qui déclenche une catastrophe économique est une action volontaire d'un État fédéral qui essaye de prendre un problème à bras le corps plutôt que de lâchement et "feignassement" le laisser se résoudre tout seul, par la douleur et la mort éventuelle de ces pauvres gens qui ont pour le coup, tout perdu.

Véritable porte de salut des Joads, le camp incarne une bouée de sauvetage, certes temporaire, mais néanmoins bien réelle. Je crois que sans ça, les fils Joads auraient finis en prison et que les parents seraient morts de faim ou de maladie. Et ce qui m'a frappé dans le camp, c'est qu'on avait l'impression de se retrouver dans un club anarcho-communiste bienveillant parce que le camp, certes fédéral dans un pays qui est l'incarnation même du capitalisme, était auto-géré. Ça n'allait sans doute pas de soi de se retrouver avec des concepts de "Reds" au pays de l'oncle Sam, surtout à cette époque (Sacco et Vanzetti sont morts en 1927, il y a moins de 10 ans).

Au delà de l'aspect historique des choses (ça s'est réellement passé comme ça), j'ai franchement adoré la manière dont les Okies et les autorités gèrent le camp: par la gestion de groupe, par la solidarité et par l'entraide. Quel contraste avec les conditions de merde des employeurs californiens qui cherchent à tout pris à profiter du système sans s'emmerder avec les conséquences ! Là, on voit des gens qui, à l'instar de chefs d'entreprise, gèrent les activités du camp, sa propreté, l'école, les toilettes, l'eau courante, le tout sans conflit et sans tentative de putch ou de prise de pouvoir individuelle. C'était vraiment vibrant à lire, surtout le passage où les jeunes gens excellent dans une forme de coordination pour empêcher les attaques de l'extérieur.

Car oui, ces salauds de capitalistes nazifiants organisaient tout un tas de provocations pour que le camp ferme. C'est un truc fédéral payé avec les impôts des citoyens des USA, c'est géré par une administration (the New Deal Resettlement Admnistration), c'est encadré, les gens qui y sont ne font pas chier, ça permet d'éviter qu'ils se mettent à faire des trucs illégaux pour survivre, mais oui, tu vas faire un truc illégal pour le péter ! Déjà dans les années 30, les trumpistes avaient tout compris (ironic).

C'est cruel

Tout au long du livre, on voit que l'histoire suit une pente descendante implacable, dirigée vers la mort. Pour la rendre moins cruelle (ou plus, ça dépend du point de vue), de temps en temps, il y a la naissance d'un espoir ou d'une amélioration palpable.

Mais globalement, c'est vers la mort crescendo que le destin des Joads tend. Au départ, ils sont encore sur leurs terres natales avec encore des provisions, encore toute leur famille et encore des dollars dans les poches. Certes, ils n'ont plus leur gagne-pain (le terrain), mais ils retrouvent leur fils aîné.

Mais dès le début, ça se gâte: le grand-père décède. Mais, une autre famille de migrants vient les épauler et se joint à eux (naissance d'un espoir d'entraide). Mais peu après, la voiture tombe en panne (redescente), ils la réparent (coup du destin, on repart vers le positif).

Ils perdent la grand-mère mais franchissent le désert. Ils se font péter la gueule dans un bidonville par des californiens fascisants (la descente) mais ils parviennent au camp de Weedpatch où ils trouvent gîte/couvert et toilettes/eau courante (la remontée).

Mais progressivement, ils vont de moins en moins bien, ils ont de moins en moins d'argent, de moyens, de santé, de force, de résolution. C'est la descente vers la mort, inexorable. Quand ils trouvent enfin un emploi qui paye de quoi survivre, c'est l'inondation, la catastrophe naturelle qui vient emporter le peu qui leur reste. C'est vers la mort que vont les Joads et ça semble impossible à surmonter malgré leurs efforts réels.

Et puis aussi, l'autre élément marquant c'est qu'au fur et à mesure de cette descente, la structure familiale se disloque jusqu'à péricliter complètement. Tom Joad Jr revient au début du livre mais progressivement, ils perdent: le grand-père, la grand-mère, un des frères, la famille qu'ils accompagnaient, le pasteur, le mari de Rose of Sharon. Puis c'est au tour de Al de vouloir partir et enfin, c'est le bébé de Rose of Sharon qui ne survit pas à la naissance.

Quelle cruauté de voir ces gens, cette famille qui tire en grande partie sa force de combat et de résistance de l'entraide familiale, tomber petit à petit à bout de force, de plus en plus seule, avec de moins en moins de membres. Si l'homme est un être social, cette histoire est terrible à vivre, surtout combinée à cette descente aux enfers. The Grapes of Wrath est l'histoire d'une chute…

Ça montre les symptômes et les problèmes de l'Amérique

Ce qui m'a aussi profondément choqué, c'est le fait de constater que, dans un pays très ancré dans une certaine forme de patriotisme (assez malsain d'ailleurs vu de nous autres européens) qui a construit son histoire dans l'opposition externe (l'indépendance) et interne (la guerre de sécession) et qui tente par tous les moyens de faire corps uni d'une nation, on voit des américains qui s'activent contre d'autres américains.

Une partie des californiens se mobilisent littéralement contre l'envahisseur Okie. Sauf que cet envahisseur est un citoyen américain aussi. Comment est-ce-possible au pays de l'oncle Sam qu'un citoyen américain, qui n'a même pas l'excuse d'avoir la mauvaise couleur de peau soit soumis à cette opposition, cette nouvelle forme de ségrégation ? Au lieu de se serrer les coudes, c'est l'affrontement, entre américains ?

Pour moi, ça signifie que finalement, de tout temps, ce patriotisme américain qui déborde de drapeaux et de slogans n'est que pur affichage. Au moindre soubresaut économique ou naturel ou si tu n'as pas la bonne couleur de peau, ou pour la dernière excuse du moment, tu deviens toi aussi un non citoyen dans les yeux d'autres citoyens.

C'est précurseur dans les catastrophes écologiques qu'on ne sait pas gérer

L'histoire du Dust Bowl reste à mes yeux, l'histoire d'une catastrophe écologique qui entraîne une catastrophe économique dans un système capitaliste complètement aveugle de dignité humaine et de gestion des problèmes. Et c'est ça qui, en 2022, fait peur. Car, à l'époque, c'était le New Deal et on avait une administration démocrate volontariste et qui faisait des choses, en lieu et place d'une administration républicaine faible qui laisse pourrir les problèmes plutôt que de les affronter. Et même avec ça, l'histoire des Joads a été l'histoire de plusieurs millions de personnes (en 1936, le recensement USA dénombre 128 millions de personnes, on est sur une base d'un ordre de grandeur de 1 à 2% d'un pays qui bouge par obligation financière, c'est énorme).

Alors imaginons ce qui se pourrait se passer avec une administration climato-négationniste de type trumpienne avec une population de maintenant 330 millions de personnes ? Ça ne se passerait vraiment pas bien à mon humble avis.

Pour moi, les okies sont les premiers migrants climatiques du 20ème siècle. Des gens sont forcés de se déplacer en masse pour fuir des conditions économiques et de vie impossible, pratiquement du jour au lendemain, à la suite d'un incident naturel qui est le résultat d'une mauvaise pratique humaine. Le Dust Bowl est le précurseur du réchauffement climatique, ça n'est que très "dommageablement" évident, maintenant, en 2022. Et ce qui est assez dingue avec les climato-négationnistes du 21ème siècle qui sont assez présents (au moins en apparence) aux USA c'est qu'ils sont aussi négationnistes de leur propre histoire. Aveuglés par leur croyances. Quelle ironie du sort !

C'est politique

C'est politique mais c'est bien fait, de la part de Steinbeck. Je sais que le livre, sorti en 1939, soit pratiquement contemporain de la situation qu'il décrit, avait été vilipendé par certaines associations agricoles californiennes (tu m'étonnes) et notamment censuré et brûlé dans certaines villes américaines. Donc je m'attendais à trouver une propagande de lutte des classes au moins aussi forte que ce qu'on peut trouver chez Jack London, dans le talon de fer par exemple.

Et bien je n'ai rien trouvé de tel. Steinbeck fait finalement assez peu de propagande. Il se contente de décrire la situation, froidement, de révéler les sentiments intérieurs des exploités, l'intenabilité de leur traitement et leur condition, l'incroyable climat de haine qui entoure les migrants, peu importe qu'ils soient citoyens américains au moins autant que les ceux qui les haïssent.

Steinbeck se contente de raconter le capitalisme toxique dans toute sa cruauté et sa brutalité nue, sans rien dénoncer. Il se contente de montrer les conséquences d'une inégalité perverse où les personnes défavorisées le sont tellement que ça remet en cause leur existence même, lorsque même travailler ne suffit plus pour acquérir ses 2000kCal quotidiens. Rien sur Marx, rien sur le communisme ou le socialisme ou l'anarchisme, juste des situations. Très perspicace, très fin !

C'est la meilleure image de fin que j'ai lue depuis ces 10 dernières années

Mais ce qui m'a profondément étonné, c'est la fin du livre. Franchement, c'est sans doute la meilleure des images de fin que j'ai lue depuis dix ans. On est sur la fin de la fin pour les Joads: Tom Jr doit se faire la malle car il est recherché pour meurtre, Rose of Sharon a perdu son enfant à la naissance, le reste de la famille a perdu tout ce qui lui restait dans une inondation. C'est sans doute la dernière étape avant la mort ou le dernier salut.

Et malgré cette situation de catastrophe, de malheur total, ce qui triomphe encore, c'est la solidarité entre ostracisés. On assiste à la figure biblique de Rose of Sharon qui donne le sein à un vieil Okie qui n'a pas mangé depuis trop longtemps, à l'article de la mort. Elle troque la mort de son enfant à la naissance, qui rend sa montée de lait si inutile, en proposition de survie à un autre être humain. Dans le dénuement le plus total, toujours cette parcelle d'humanité, de partage qui nous distingue de la physique mécanique et implacable d'un capitalisme tragique et négationniste de la vie. C'était vraiment magistral de la part de Steinbeck !

Conclusions

J'avoue, même en anglais qui n'est pas ma langue natale, j'ai vraiment pris plaisir à lire "The Grapes of Wrath". J'avais un peu de mal au début avec la langue des Joads mais comme c'est ce format qui prend environ 80% du livre, on s'habitue. Arrivé aux 3/4 du livre, je n'ai pas pu résister et j'ai tout lu d'un trait pendant quelques heures (je lis moins vite en anglais qu'en français quand ce n'est pas un vocabulaire de "computer science") jusqu'à 1h du matin.

Je vous conseille vraiment de le lire dans sa version non traduite, ça vaut vraiment l'effort et ça reste abordable, dans l'ensemble, sans devoir y passer trois heures de consultation de dictionnaire.

La fin est vraiment géniale. Je ne m'y attendais pas du tout, j'ai du relire le passage trois fois pour vraiment mesurer la fresque dépeinte par Steinbeck. On nage alors dans un énième effondrement pour la famille Joad, une nouvelle épreuve difficile et je ne voyais pas du tout comment Steinbeck allait s'en sortir, surtout qu'il restait encore si peu de pages. Cette vision de Rose of Sharon qui perd son bébé, mais qui donne le sein à un Okie sur le seuil de la mort relève vraiment du génie et d'un coup de maître littéraire. Et ça, en une dizaine de phrases seulement.

Très clairement, The Grapes of Wrath est vraiment un accomplissement, un chef d'oeuvre de la littérature américaine dans toute sa splendeur, dans une Amérique qui prend conscience de ses problèmes et qui essaie de les régler, qui tente de reprendre la main. C'est ça l'Amérique que j'admirai…