Revue littéraire de février 2017🔗
Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Vie-courante/
Introduction
Comme au mois de janvier, je continue mon périple littéraire et pour le mois de février, j'ai finalement pris le temps de lire 3 livres complets dont voici mes impressions…
"Le quai de Ouistreham" de Florence Aubenas
Pour planter le décor, je me souviens encore des affiches, pancartes et "minute de rappel de chaque fin de journal télévisé" sur Florence Aubenas, lorsqu'elle était captive de je ne sais plus quels ravisseurs en Irak. Il y en avait tellement partout et cela a duré tellement longtemps que j'ai personnellement cru que sa libération ne serait jamais arrivée.
Elle a finalement enduré une captivité longue et cela ne l'a pas empêché de replonger dans le journalisme juste après. J'avais donc gardé une image assez forte de Florence Aubenas.
Je tombe sur le pitch du Quai de Ouistreham qui m'indique que Florence Aubenas s'est fait passée pour une prolétaire à la recherche éperdue de travail dans la Manche, sous la forme d'une expérience journalistique vécue de l'intérieur.
Tout de suite, le thème du livre m'a rappelé Jack London dans "Le Peuple de l'âbime" qui a lui-même mouillé la chemise en devenant un pauvre des faubourgs de l'East End de Londres, au début du 20ème siècle. J'avais bien aimé cet ouvrage qui dépeignait avec un réalisme saisissant la situation terrible des pauvres dans le Londres du début du siècle dernier.
J'ai reconnu ces traits dans l'œuvre de Florence Aubenas également… Cette dernière part à Caen en 2008, au moment de la crise économique qui traverse le monde, pour vivre ce qu'une personne qui souhaite travailler, avec peu de qualifications, peut vivre. Elle n'arrêtera que lorsqu'elle trouvera un CDI, condition de sortie de l'expérience. Elle a surtout trouvé beaucoup d'emplois à temps partiel en tant que femme de ménage.
En la lisant, j'ai eu l'impression de tomber sur les mêmes déductions que celles de Jack London. J'ai retrouvé les mêmes discours stupides de ceux qui possèdent et qui asservissent les êtres humains. J'ai relu des passages emplis d'une suffisance et d'une mesquinerie profonde, venant affirmer un peu plus la stupidité d'un système capitaliste somme toute assez fragile car incapable d'assurer un avenir à tous, surtout lorsque ces derniers mettent toutes leurs forces dans la recherche et la conduite d'un travail de prolétaire.
J'ai reconnu toute cette connerie humaine lorsque j'ai lu les mots d'un patron qui déclamait que "Madame Aubenas" n'arriverait jamais à rien dans la vie parce qu'elle ne semblait pas être suffisamment performante dans l'exécution des tâches de ménage qui lui incombait et que, d'ailleurs, personne ne semblait être capable de relever à un niveau suffisant. C'est toujours à la fois pitoyable et drôle d'entendre dire à une journaliste engagée, professionnelle, qui a vécu une situation d'une difficulté extrême pendant sa longue captivité, qu'elle n'arrivera à rien dans la vie !
Cela montre sans doute le peu de sérieux qu'on peut avoir face aux discours des exploiteurs en tout genre, y compris, lorsque ces derniers sont persuadés de faire le bien autour d'eux, car ils permettent à des personnes de disposer d'un emploi, au moins.
J'ai retrouvé également les mêmes difficultés techniques que celles décrites par London. En fait, être un travailleur précaire, être pauvre, conduit toujours à des situations complexes où l'effort pour essayer de vivre normalement est sans commune mesure avec ce qu'une personne avec un haut revenu peu vivre, y compris si elle travaille de nombreuses heures. Prenons un simple exemple: vous êtes à temps partiel et vous prenez tout ce qu'on vous offre. Comme vous êtes un prolo, on vous donne le SMIC (faut pas rigoler quand même et surtout, parfois, rémunérer plus n'a pas de sens économique). Dans certaines situations, il n'est juste pas économiquement rentable de travailler si vous devez dépenser plus que ce que vous gagnez dans les transports. Une femme de ménage qui a 1h par ci, une 1h par là, sur plusieurs sites distants de plusieurs kilomètres est souvent dans cette situation. En plus, difficile de simplement gérer la charge de travail avec ces temps de trajet. Certaines personnes n'ont simplement pas le permis, souvent parce que ce dernier est peu abordable financièrement, sans compter l'acquisition et l'entretien de la voiture. Ils se tournent vers des moyens de transports plus abordables (genre un scooter ou les transports en communs) mais ces derniers sont nécessairement beaucoup plus lents qu'une voiture individuelle pour de nombreux métiers qui requièrent de travailler dans des zones distribuées ou éloignées (y compris de quelques kilomètres).
À titre d'exemple, au cours de son expérience, Florence Aubenas ne pouvait pas dormir plus de 5 ou 6h d'affilée la nuit, car elle terminait un emploi partiel le soir à 23h pour en reprendre un autre à 4h du matin… En moyenne, on a besoin d'environ 8h de sommeil par jour. En deçà, c'est risqué pour la santé ! Rien à voir avec l'emploi d'un cadre sup qui termine tard mais démarre tard également…
Quand vous êtes pauvres, il faut tout compter, au moindre centime. C'est long, pénible et difficile à réaliser car toute opération financière aussi simple qu'acheter une baguette de pain revient à évaluer, tenir une comptabilité fine, savoir ce qu'on peut acheter ou non, essayer d'anticiper ce qui peut arriver avant la fin du mois et également se retrouver avec la difficulté psychologique de se dire qu'on n'a pas les moyens. Au quotidien, c'est très lourd. Mais lorsqu'on n'a pas à le vivre, on ne s'en rend pas du tout compte, y compris si on est radin. Tout acte d'achat devient une opération raisonnée qui implique de la réflexion et qui peut prendre plus de temps que si on n'y est pas contraint, notamment si on se met à effectuer une étude comparative.
Mais au final, on retrouve, dans le livre, quand même une grande chaleur humaine avec des êtres qui essayent de s'entraider, dans la difficulté des situations économiques tendues. D'abord, on peut dire que toutes les personnes rencontrées par Florence Aubenas s'investissent à fond pour retrouver un emploi ou tenter de maintenir celui qu'elles ont, y compris si ce n'est pas économiquement rentable. Ceux qui abandonnent le sont souvent par la contrainte car c'est vraiment trop dur physiquement ou psychologiquement ou même d'un point de vue familial. Même si le travail est dur, sous pression, on peut lire dans l'ouvrage de Florence Aubenas beaucoup de petits instants de joie, beaucoup de partages de vie, de moments intenses où les êtres se dévoilent en profondeur.
Une autre chose qui m'a également frappé est ce qu'on peut considérer comme une "surpression systémique" sur l'emploi par certains acteurs économiques. Dans les métiers à faible valeur ajoutée mais qui restent indispensables (le ménage en fait partie), le système fait que les gens sont engagés avec une surcharge de travail chronique, comme si elle était instaurée et décidée en amont. Ainsi, même en y mettant la meilleure volonté du monde, il est impossible de finir le travail en temps voulu. La seule condition de respect de l'horaire serait de ne pas terminer le travail en question ce qui pose des problèmes contractuels. Mais le type qui se prend la pression de plein fouet, c'est le travailleur. L'employeur peut l'engueuler, ne pas payer ses heures sups (ce qu'il fait tout le temps), remettre en question la qualité de son travail (alors que le problème est quantitatif); le contractant (celui qui achète une prestation de ménage à l'employeur du travailleur) peut se retourner vers l'employeur en le menaçant de ne plus payer, ou alors en direct avec le travailleur qui est présent dans ses locaux. Mais au final, c'est le travailleur qui doit gérer le plus de pression. Je me dis que ce système de pression est assez favorable à l'employeur qui peut faire baisser les coûts de ses prestations pour séduire plus de contractants/clients. Mais ce système reste très malsain.
Pour conclure, je vous recommande fortement de lire "Le quai de Ouistreham", de la même manière que je vous recommande de lire "Le peuple de l'âbime". Cela permettra de vous faire un point de vue plus sensibilisé et objectif sur la situation des prolétaires de notre pays. Dans tous les cas, vous ne regarderez plus jamais les femmes de ménage avec le même regard qu'auparavant, je peux vous l'assurer.
"Les robots" d'Isaac Asimov
J'ai toujours aimé Isaac Asimov. Je le lis depuis que je suis enfant, surtout "Les robots". Je ne m'en lasse pas. Régulièrement, sans doute tous les 10 ans depuis que j'ai 10 ans, je le reprends et je le relis… et ça me fait du bien.
L'histoire est bien léchée, c'est un peu technique; il y a un peu de science, un peu de psychologie. C'est fouillé mais abordable. L'auteur accompagne bien le lecteur.
Avec le temps, je me rends compte que c'est moi qui vieillis. Quand j'étais enfant, les dates du livre me paraissait être un futur proche. Aujourd'hui, en 2017, dans l'histoire d'Asimov, nous devrions disposer de robots parlants depuis quelques années déjà. Ce n'est pas le cas. C'est juste que ça fait tout drôle de lire ces années maintenant dans le passé, que j'ai découvertes plus jeune, comme étant celles d'un avenir possible.
Dans tous les cas, l'œuvre est une nourriture dont je me délecte à chaque fois. Il faudra que je la relise dans 10 ans.
"L'herbe rouge" de Boris Vian
J'avais toujours eu une bonne impression de Boris Vian, sans jamais avoir lu aucune de ses œuvres. Sans doute parce que je savais que ce dernier était ingénieur centralien et que ça ne pouvait pas qu'être quelqu'un de qualité, forcément !
Je savais que c'était un être fantasque et j'espérais beaucoup de l'herbe rouge. Mais j'ai été extrêmement déçu par cette œuvre. Pour faire simple, je crois que prendre du LSD quand on écrit, ce qu'a fait Boris Vian sans nul doute, conduit à des productions maintenant inabordables en 2017 pour le quidam moyen.
Le résumé est un peu complexe à faire car l'histoire se passe dans un monde un peu irréel où tout est un peu sous le spectre de la parabole, du sens caché, tout en ayant une ligne assez rythmée. Parfois, on croit que les individus vivent dans un monde proche du nôtre et parfois, ce monde n'a plus rien à voir avec le nôtre. Dans ces conditions, difficile de trouver une certaine forme de logique à l'histoire.
Car pour résumer, c'est l'histoire d'un type qui fabrique une machine bizarre avec son espèce d'ami. Cette machine se révèle être capable de plonger les personnes qui pénètrent dans le puis créé par la machine, dans un monde second où leurs souvenirs prennent forme et où une espèce de tribunal fantasque vient faire le bilan de leur vie.
Le type et son pote ont chacun une gonzesse; ils sont en couples. Le pote du type a des visions d'autres hommes qui matent lorsqu'il embrasse sa copine. Il en mourra sous une forme parabolique.
Le type plonge régulièrement dans ses souvenirs, mais je n'ai rien retenu: ça n'a ni queue ni tête. De toute façon, à la fin, il meurt et sa gonzesse se casse. L'interprétation de l'œuvre est forcément riche pour le lecteur mais j'aime bien être aidé par l'auteur, surtout pour savoir où il veut me faire aller. C'était franchement un peu pénible de lire ce livre. Le style en revanche est très souple et abordable et on peut lire le livre d'un trait en moins de 3h. On est loin du style pénible de Julien Gracq. L'œuvre en reste pourtant sans grand intérêt. Dans tous les cas, je n'ai pas accroché même si j'ai lu jusqu'au bout.
Conclusions
Pour ce second mois, je tiens toujours la barre de lire au moins un livre par mois. C'est un vrai plaisir de réutiliser ma liseuse de 2011 qui reste très utile.