The complete book of self-sufficiency par John Seymour🔗

Posted by Médéric Ribreux 🗓 In blog/ Blog/

#agriculture #self-sufficiency

Introduction

J'ai enfin terminé "The complete book of self-sufficiency" de John Seymour). J'en avais entendu parler lors d'un reportage de la chaîne télévisée Arte (ce devait être un "28 minutes" je crois). L'invitée de cette chronique était Perrine Hervé-Gruyer de la ferme du Bec-Hellouin, figure maintenant à peu près bien connue et reconnue du mouvement permaculture français. John Seymour y était cité comme étant un des inspirateurs des fondateurs de la ferme du Bec-Hellouin.

N'en ayant jamais entendu parler et étant quand même à la base ingénieur agricole, je me suis penché sur le personnage dont vous pouvez consulter la biographique sur Wikipedia. J'ai été assez estomaqué par la production d'écrits de John Seymour et aussi par le nombre important de ses séjours à l'étranger. Aussi, je me suis mis à essayer de trouver son œuvre la plus connue qui traite d'agriculture pour voir ce que ce monsieur racontait dans les années 70 et de quelle manière les méthodes agricoles qu'il avait mises au point pouvaient constituer une référence pour d'autres personnes, notamment des personnes du 21ème siècle.

Assez facilement, j'ai été guidé sur "The complete book of self-sufficiency", cité comme une référence déjà à l'époque et étant, en 1976, date de sa publication, un condensé de plusieurs écrits sur ce thème, rédigés et publiés plusieurs années auparavant par John Seymour. Par bonheur, j'ai pu trouver ce livre sur archive.org, dans sa langue originelle (l'anglais) et je me suis fait un plaisir certain à le lire directement.

À la fin de cette lecture, je dois dire que je suis un peu estomaqué et je prends donc la peine de coucher par écrit ce qui m'a frappé chez John Seymour et surtout dans le contenu de son œuvre écrite.

À propos de John Seymour et de l'auto-suffisance

Je ne vais pas vous remettre une biographie autorisée de John Seymour, ça n'aurait pas plus de valeur ajoutée que de remettre un lien vers Wikipedia.

Mais pour résumer, John Seymour est le précurseur du mouvement d'auto-suffisance au Royaume-Uni, dans les années 60 et 70. J'avais déjà vaguement entendu parler de ce mouvement qui a fait quelques adeptes dans son pays d'origine toujours via un reportage de la chaîne télévisée Arte sur différents modes de vie plus sains et plus simples. J'étais tombé sur une interview d'un citoyen britannique qui vivait dans une petite ferme avec une surface agricole assez réduite (je pense à moins d'une dizaine d'hectares). Il avait une seule vache dont il faisait la traite à la main. Il décrivait une vie simple, sans stress où il était parfaitement heureux. Par ailleurs, il soulignait combien il se sentait indépendant et libre. Il savait que le système qu'il avait mis en place pour assurer sa subsistance était fiable et robuste et qu'il pouvait compter sur cette expérience pour rester résilient et finalement très stable. Je me souviens aussi, à cette occasion, d'avoir remarqué que sa ferme était super bien tenue: tout était vraiment propre, bien rangé, pas une seule trace de merde nulle part, pas de bâtiment pourri en délabrement, pas de saleté nulle part et un potager vraiment bien garni. Ce qui m'avait frappé déjà était à quel point ce type allait à contre courant de l'agriculture contemporaine et combien il semblait heureux de son auto-suffisance.

Je ne vais pas me lancer dans une définition détaillée et absolue du mouvement d'auto-suffisance, mais je me risquerai à dire que l'objectif de l'auto-suffisance est l'élaboration d'un système qui permet la liberté d'un individu par l'action de son travail sans devoir entretenir un réseau de relations commerciales mettant en péril cette liberté. De fait, un être auto-suffisant se caractérise par le fait de cultiver une certaine forme d'indépendance par rapport à la société qui l'entoure. Il cultive donc la terre, car il produit lui-même l'essentiel de sa nourriture avec des moyens techniques qu'il maîtrise et qu'il peut utiliser sans recourir à d'autres.

John Seymour précise que ce mode de vie est loin d'être un retour en arrière mais bien l'inverse, de progresser vers une vie qui fait sens, une vie loin de la routine ultra-spécialisée du mode de vie occidentale. Une vie faîte de défis, d'initiative, d'innovation dans la manière d'appréhender le monde. Il faut dépasser le sentiment de super-pouvoir offert par la technique. C'est finalement assez vrai si l'on considère l'agriculture moderne où les hommes sont ultra-équipés par des machines qui font le café ou qui conduisent toutes seules mais qui, au final, sont incapables de produire à un rendement correct sans recours à des produits dangereux pour la santé humaine. Super technique mais aussi super-cancer. Qu'est-ce-qui est mieux finalement ?

J'ai bien aimé aussi l'expression de John Seymour à propos du comportement d'un être auto-suffisant: se comporter comme un travailleur du sol (husbandman) plutôt qu'un exploitant. Il est à noter que "husbandman" signifie aussi quelqu'un qui fait œuvre de parcimonie dans sa gestion. Cela correspond finalement assez bien à la philosophie de l'auto-suffisance.

Les techniques de John Seymour

Dès les premiers chapitres, John Seymour décrit un système agricole assez atypique pour l'époque et encore plus pour aujourd'hui. Il s'agit d'un système à haute valeur ajoutée et à production intensive, le tout sans intrant chimique, en accord avec les valeurs de l'agriculture biologique. Effectivement, écrire agriculture biologique et intensif dans la même phrase peut sembler incompatible mais en fait, à bien y réfléchir, ce n'est pas vraiment le cas.

En effet, si vous vous lancez dans des pratiques culturales qui respectent la biologie (du sol, des plantes, des autres êtres vivants), toutes les conditions sont réunies pour que vous fassiez plutôt du bon travail et que votre production soit finalement assez intensive. John Seymour affirme sans détour qu'il est capable de produire du blé à près au même rendement que dans un système d'agriculture conventionnelle des années 70.

Par ailleurs, menée sur une surface réduite, le système auto-suffisant permet de concentrer l'action du travail tout au long de l'année par le fait de toujours vouloir couvrir le sol de quelque-chose et, ce faisant, pas un truc productif qui sera utilisé ultérieurement.

Pour parfaire le tableau et pour redonner un vrai retour ancestral à cette technique, John Seymour déclare qu'il s'inspire d'une méthode très ancienne de culture, établie en Europe au siècle dernier qu'il nomme "High Farming". Un système mêlant habilement plantes et animaux ainsi que leurs interactions. Je vous laisse lire le livre pour avoir plus détails sur ce sujet mais ça mérite de pouvoir affirmer que, avec un peu de recul, la permaculture de ce début de siècle remonte en fait aux débuts du siècle dernier.

Pour étayer ses propos, John Seymour propose dès le début du livre de montrer ce qu'il est possible de faire sur une exploitation de taille très limitée. Il étudie la vie en auto-suffisance sur 1 acre (à peu près la moitié d'un hectare, soit 5000 m2). Il montre qu'il est impossible d'être complètement autonome en alimentation sur une aussi petite surface mais qu'en ajoutant quelques ressources extérieures, il est possible de maximiser cette autonomie.

De nos jours, une étude menée conjointement par l'INRA, AgroParisTech et l'institu Sylva de la ferme du Bec-Hellouin montre que, sous certaines conditions, il est possible de dégager l'équivalent d'un salaire minimum français avec seulement 1000m2 de surface utile. John Seymour prend ensuite l'exemple d'une ferme de 5 acres (moins de 2,5 hectares) qui permet l'autonomie d'une famille de 6 personnes ainsi que la revente d'un peu de surplus de production.

Le reste du livre détaille les techniques utilisées. Globalement elles se basent sur:

Sur 250 pages environ, tout est détaillé avec force d'illustrations. Comme son système John Seymour a su condenser l'essentiel de ses exemples dans un livre finalement assez compact. Un chef-d'œuvre d'intensité d'idées dans une surface limitée.

Bien loin du mouvement hippie de retour à la terre, John Seymour met en garde les adeptes de ce système sur le fait qu'il implique une charge de travail assez intense. L'être humain, pour assurer sa subsistance doit forcément fournir un effort constant. Mais Seymour tempère en avouant que l'effort est louable et qu'il permet une rétribution inconsciente lors de la récolte des fruits du labeur. De plus, combiné à l'amélioration de l'indépendance, le sentiment de liberté croît et avec lui une certaine forme d'auto-reconnaissance et de solidité. Et John Seymour de conclure qu'il n'y a pas de meilleur moment que celui de pouvoir siroter sa propre bière juste après la récolte des céréales en été et, il a sans doute raison, cette bière n'aurait pas du tout le même goût si elle avait été achetée dans le commerce avec les mêmes qualités organoleptiques.

Au désespoir des végétariens (que je respecte évidemment), le système de John Seymour implique d'utiliser des animaux, car ils contribuent fortement à l'amélioration de la fertilité des sols tout en diminuant une partie du travail du paysan. Quelques exemples me viennent rapidement. D'abord John Seymour indique qu'il n'a trouvé aucun moyen plus efficace de transformer à peu près n'importe quelle plante en matière fertile et de la distribuer sur une surface à moindres frais qu'en exploitant les cycles digestifs des animaux et leur capacité à se mouvoir sur un terrain. Il y a bien le compostage, mais il faut ensuite manipuler le produit fini.

C'était aussi assez bien pensé et très malin de trouver quelque-chose qui puisse concilier le fait qu'un porc évolue naturellement en plein air et qu'il a tendance à retourner le sol pour trouver sa nourriture. Ce faisant, il assure une production de viande, un travail du sol sans tassement de ce dernier, un désherbage gratuit, y compris des graines et racines qui peuvent rester dans le sol ainsi qu'une réduction des larves et insectes nuisibles dont il se régale (dû à sa condition d'omnivore) tout en contribuant à fertiliser le sol par ses déjections, le tout sans une goutte de pétrole ni trop de temps passé par le paysan pour parvenir à ses fins.

Néanmoins, le fait d'avoir des animaux sur la ferme implique de les consommer directement. Et John Seymour détaille même des techniques pour découper des carcasses et aussi des méthodes de préparation et de conservation de viande, afin de minimiser la perte.

Car, au-delà du discours technique, on découvre qu'il n'y a une profonde humanité chez John Seymour qui s'applique à une forme de bienveillance envers les animaux. En effet ces derniers permettent d'améliorer la performance et donc l'auto-suffisance du système. Ils méritent donc un respect profond. Dans les phases d'abattage, Seymour décrit toujours la technique la plus efficace du point de vue de la minimisation de la souffrance animale. C'est souvent une méthode basée sur un coup de 22 dans la tête, dans un lieu connu de l'animal, alors qu'il est dans un état calme et qu'il n'y a aucune tension ni aucun changement par rapport à l'habitude qui pourrait le déranger. Enfin, John Seymour évoque le fait qu'il n'est jamais facile de passer du temps avec un animal pour ensuite le tuer, quoi qu'il arrive, une relation finit toujours par se tisser.

Pour conclure sur ce point, n'étant pas moi-même végétarien, je crois qu'effectivement, élever un animal domestique et devoir le tuer pour le consommer ne peut se faire sans un respect profond et une certaine forme de déchirement. J'y pense à chaque fois que je vois quelqu'un qui jette un reste de viande à la poubelle. Un moment difficile à vivre, tout ça pour finir sous forme de déchet. Quel gâchis !

Même si Seymour décrit un système avec animaux, je crois qu'il est possible de se baser sur un système sans contribution animale. Ce serait sans doute plus long, plus complexe, plus fragile mais dans tous les cas, loin d'être impossible.

Conclusions

Une fois le livre terminé je me suis demandé pourquoi je n'avais jamais entendu parler de John Seymour pendant tout mon cursus post-baccalauréat ! J'ai passé près de 5 années à étudier l'agriculture dans toutes ses composantes et je n'ai jamais trouvé trace du système de John Seymour. C'est franchement dommage car c'est un système d'un grand intérêt qui mérite d'être enseigné, décrit ou, tout au moins cité comme exemple alternatif.

C'est assez génial d'avoir trouvé les meilleures techniques pour maximiser la production sur des surfaces réduites. J'ai d'ailleurs été assez scotché par l'emploi des cochons comme outil de préparation du sol. C'est très astucieux et ça me plaît.

Bien sûr les détracteurs de ce système diront que ce n'est pas suffisant, que le sol est mal préparé, que ça prend du temps, que ce n'est pas adapté à une production industrialisée, etc. Mais pour une approche auto-suffisante, c'est très bien et très adapté.

Au-delà de l'aspect technique, j'aime également le ton assez pragmatique de l'auteur qui, sans faire de longues phrases ou d'envolées lyriques, parvient à instiller l'intérêt qu'il porte à cette vie significative et pleine de sens de l'auto-suffisance. Mais les Britanniques ont un sens assez aiguisé (et une langue qui le permet) de pouvoir faire passer une philosophie avec toujours une petite pointe d'auto-dérision, n'est-ce pas ?

John Seymour me donne l'envie de continuer sur la découverte ou la re-découverte de ces techniques agricoles plus clairvoyantes que celles d'aujourd'hui. Le sujet de la permaculture sera, à n'en pas douter, un de mes sujets de l'année 2019. Il n'y a rien qui me plaise plus qu'un truc compliqué mais efficace où tout a été pensé, expérimenté et évalué, en faisant fi des systèmes actuels tout en étant un tantinet en décalage avec. C'est sans doute mon côté Aspeger qui reprend le dessus.

Dans tous les cas, si vous êtes intéressés par l'agriculture, je vous invite à lire The complete book of self-sufficency de John Seymour. Vous découvrirez, à n'en pas douter, la beauté d'un monde nouveau qui n'attend que vous.