30 ans de Debian🔗
Je suis en retard de quelques mois, mais depuis le 16 août 2023, le projet Debian a 30 ans. Putain, 30 ans comme on dit ! Pour ma part, ça fait 20 ans que je l'utilise avec très peu d'infidélité. C'est une distribution que j'apprécie sur tous les plans.
Tout à commencé quand j'ai pris mon premier poste, en sortie d'école d'ingénieur. J'étais déjà linuxien amateur depuis 1999. Cet OS basé sur Unix en libre, le concept même du logiciel libre ont toujours eu un écho direct dans mon cerveau et, un peu dans mon éthique. Imaginez, cloner un OS réalisé par des géants (Ken Thompson, Denis Ritchie, Brian Kernighan, Douglas McIlroy, l'élite de l'élite universitaire américaine, regroupée au sein des Bell Labs) pour des géants, en initiant le truc par un étudiant en informatique (Linus Torvalds) et en réussissant à fédérer des développeurs compétents dans le monde entier en réutilisant les principes du logiciel libre pour augmenter les chances d'avoir des participants. C'était un truc alternatif, bien loin du mainstream de Microsoft et de son Windows déjà fardé de bugs. Et puis, le concept génial de contrer le capitalisme par le capitalisme avec la notion de copyleft à garantir de Richard Stallman restera toujours brillant.
Donc, en 2003, pour mon premier poste de responsable système d'information dans un service déconcentré du Ministère de l'Agriculture, en plus de l'activité courante et du parc informatique déjà existant, j'ai pris le temps de tester des distributions GNU/Linux du moment, pour trouver quel serait l'environnement le plus stable pour que je puisse mettre en place des serveurs Linux qui me semblaient plus stables et surtout moins chers que les licences Windows et tout ce qui va avec (les licences CAL: tu payes la licence de l'OS Serveur, la licence de tous les postes de travail, mais aussi une licence pour que les postes de travail puissent avoir accès au serveur, administrativement c'est vraiment la prise de tête).
Bon, c'était entre deux jobs, mais sur deux mois, j'ai testé 5 distributions:
- Redhat Linux (je ne sais plus quelle version).
- Mandrake (le truc franco français).
- Suse (le truc de vieux, mais pas comme le Génépi).
- Linux From Scratch (le truc fait à la main).
- Debian (Woody à l'époque).
J'avais un sacré à priori négatif sur Debian. A l'époque, pour moi, la référence c'était clairement Redhat: tout semblait mieux fini, plus abordable avec un installeur graphique, un environnement de bureau correct. Debian, ça faisait paquets anciens, pas à jour. J'avais aussi pris le temps d'utiliser LFS sur un poste de travail et ça m'a permis de voir vraiment les différents composants utiles d'un OS (quand tu fais tout à la main, tu vois tout en détails). Mandrake avait aussi une bonne réputation (l'époque de Gaël Duval).
Mon protocole de tests consistait simplement à installer la distrib sur une machine de moyenne gamme (un Pentium 4 avec 64 ou 128 Mb de RAM et une carte graphique de base), à installer tout ce qui me paraissait indispensable pour bosser et aussi des démons sur des services certes peu sollicités, mais que je faisais chauffer de temps en temps (des requêtes SQL notamment).
Au bout de 2 mois, le grand vainqueur, sans contestation possible était Debian Woody. Certes les paquets était souvent anciens (genre evolution que je testais pour le courriel) mais ce truc était d'une stabilité à toute épreuve: l'OS ne plantait jamais en utilisation courante, y compris lors de téléchargements externes via le proxy du Ministère (qui était centralisé et qui se tapait tout le traffic d'entrée/sortie Internet des 35000 agents (à l'époque, on était plus nombreux) du ministère) qui parfois coupait la transmission méchamment (genre pas un RST correct, juste plus de paquets qui arrivent pendant plusieurs minutes). Pour tous les autres, ça plantait, je retrouvais la machine en freeze après une pause ou je voyais qu'un service plantait comme ça, tu ne sais pas pourquoi. LFS était résistant et stable, mais à gérer à la main pour les mises à jour, c'était tout simplement impossible.
Muni de ces résultats, je me suis mis à m'intéresser à Debian, toujours au bureau, mais aussi à la maison et j'y ai trouvé des éléments complètement bluffants. Le premier truc énorme, c'est le contrat social. Oui, c'est un projet d'OS, mais contrairement aux autres, il n'est pas porté par une structure commerciale et il a pris le temps de travailler son éthique et son engagement et de le communiquer clairement à tous. Mieux, il a fédéré complètement le projet autour du contrat social qui transparaît dans toute l'organisation (y compris dans la structure des dépôts). L'autre intérêt, c'est que tout semble assez transparent et écrit:
- les règles techniques d'empaquetage sont claires pour tous.
- le rôle de chacun (mainteneur/développeur/uploader/etc.).
- les différentes structures démocratiques (Project Leader, la constitution, les DFSG, le technical commitee, etc.).
- le système de vote pour élire les responsables (leader qui a une durée de vie de 1 an): la méthode Condorcet.
- Le fait que toutes les prises de décisions soient encadrées par un réglement et publiques (le plus souvent). On est loin du fait du prince, ce qui me semble bien plus intéressant comme comportement, même si, au final, ça demande plus de temps, notamment de débats.
Le deuxième truc d'intérêt, c'était la bonne santé technique de la distribution. J'ai vu que le fait d'avoir du support sur une distribution stable (avec peu de mises à jour majeures de logiciels) pendant longtemps était plutôt un avantage pour des machines serveurs qui doivent avoir une durée de vie sans coupure de service la plus large possible. Bon, en 2003 quand on a droit au renouveau du Desktop sous Linux tous les 3 mois avec 50 nouvelles fonctionnalités, effectivement, c'est plus frustrant. Néanmoins, à l'usage, mieux vaut prévoir un truc moins bleeding edge mais stable… et puis, j'ai découvert Debian testing. Et là, c'est le bonheur des deux mondes: tu as les derniers paquets, mais ça reste quand même ultra-stable.
Et puis, j'ai vu qu'avec le temps (c'est toujours vrai 20 ans plus tard), Debian a le plus grand nombre de paquets prêts à être installés en une seule commande. Souvent, quand je découvre un nouveau logiciel d'intérêt, il est déjà dans Debian unstable ou testing. En 20 ans d'utilisation quotidienne, j'ai finalement eu vraiment peu de bugs dus à la distribution. Je pense que je peux les estimer à 1 ou 2 par an, souvent au moment de la transition d'une version à une autre (et puis, souvent, ça finissait par se régler tout seul, avec une mise à jour dans testing).
Voilà, depuis 2003, Debian est mon OS, le seul, le vrai l'unique, aussi bien sur serveur que sur desktop. Avec le temps, j'ai fini par trouver ce qui me satisfaisait pleinement et je m'y tiens:
- Sway comme environnement de bureau (tuilé).
- Emacs comme éditeur de texte.
- Firefox comme navigateur web.
- Mutt et Thunderbird comme client de courriel.
- foot comme terminal.
- Cantata et mpd pour la musique.
- pcmanfm comme explorateur de fichiers.
Si je devais comparer avec mes débuts informatiques (à 5 ans donc comme je suis de 1978, en 1983, soit 20 ans avant 2003), j'ai connu les OS suivants:
- l'OS/Basic du ZX81.
- l'OS/Basic de l'Oric Atmos (probablement un dérivé de Microsoft Basic).
- l'OS/Basic du Thomson MO5 (Microsoft Basic).
- l'OS/Basic du MSX (Microsoft Basic).
- MS-DOS 3.1 sur 8086 Sinclair.
- MS-DOS 5.0 sur un 80386SX20Mhz de chez Amstrad.
- Windows 95 sur un pentium 133Mhz de je ne sais plus où.
- Windows 98 et GNU/Linux Redhat sur un AMD K6.
- Windows 2000 et GNU/Linux Debian sur bi-proc AMD Athlon.
Depuis, c'est GNU/Linux Debian point. C'est finalement assez dingue de se dire que je vais sans doute passer le reste de ma vie à utiliser cet OS. Jamais aucun truc ne m'a accompagné aussi longtemps dans ma vie, en dehors de mes parents (et encore, ce n'est pas une relation de tous les jours) !
Pour terminer, et c'est pour ça que je publie cet article seulement maintenant (en vrai c'est parce que ma vie pro et perso prend un mauvais tournant depuis le début de 2023 et que ça réduit à néant ma volonté d'écrire), je tenais à souligner que pour la première fois depuis ces 20 ans, j'utilise sur ma station de travail Desktop et sur mon laptop perso la version stable de Debian (donc bookworm).
Avant, ça durait seulement quelques semaines avant que je rebascule à testing après le passage en version stable parce qu'il y avait toujours un paquet plus frais que j'utilisais. Là, pour pratiquement 3 mois, je me suis contenté de rester sur Debian Stable et, à part le backport d'Emacs 29 que j'ai accueilli à bras ouvert (il permet l'utilisation native sous Wayland), je suis resté à ça. J'ai l'intuition que ça va rester comme ça jusqu'à la sortie stable de Debian Trixie. C'est sans doute un signe de maturité de la distribution et de mon utilisation. Je crois que c'est une étape.
Dans tous les cas, joyeux anniversaire Debian, merci surtout à l'ensemble de tous les contributeurs pour maintenir cet OS de qualité avec de grandes vertus qui me fait encore croire dans l'humanité…